« Ce n'est qu'un être humain qui lui enseigne. » (16/103)

Je demande protection auprès de Dieu le Fort contre Satan le séducteur,
Et je demande protection auprès de Mohammad l'Agréé contre le mal du Décrété et de l'Instauré,
Et je demande protection auprès du Dieu des Gens contre le mal des Jinn et des gens,

Grâce au Nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux,

Point de Force ni de Puissance en dehors de Lui, point de Divinité sauf Lui, gloire et pureté à Lui, ô Allah prie sur Mohammad et la famille de Mohammad et hâte leur soulagement
Et que la paix soit sur les croyants et les croyantes et quiconque cherche la guidée

Allah, Exalté dans Sa parole, a dit

Dis: « C'est le Saint Esprit qui l'a fait descendre de la part de ton Seigneur en toute vérité, afin de raffermir [la foi] de ceux qui croient, ainsi qu'un guide et une bonne annonce pour les Musulmans. »

Et Nous savons parfaitement qu'ils disent: « Ce n'est qu'un être humain qui lui enseigne (le Coran). » La langue de celui qu'ils discréditent est étrangère [non arabe], et celle-ci est une langue arabe bien claire.

(Sourate al-Nahl, 102-103, arabe ici)

Pour donner une brève paraphrase de ce verset :

Dans un premier temps, le Seigneur ordonne à Son Prophète, notre bien aimé Mohammad (que la paix et les prières d'Allah soient sur lui et les siens) d'affirmer que c'est l'Esprit Saint, Gabriel, qui fait descendre le Coran de la part de Dieu.

Puis, il mentionne la prétention des infidèles, que cet Ange serait un humain qui informe Mohammad pour l'aider à composer le Coran, et Dieu les réfute en disant que cela est impossible car celui auquel ils font allusion est de langue étrangère (a'jamî), tandis que le Coran est d'une langue arabe bien claire (lisân 'arabiyyun mubîn).

Quelques remarques désormais :

1. « Ce n'est qu'un être humain qui lui enseigne. » : A qui les infidèles faisaient-ils allusion en disant cela ?


Pour ce qui est des sources classiques chiites : Al-Tusî dans son Tibyan al-Jamî' 'Ulum al-Qur'ân (ici) et al-Tabarsî dans son Majmu' al-Bayân fî Tafsîr al-Qur'ân 
(icirapportent tous deux l'opinion d'al-Dahhak selon laquelle la personne concernée par ce verset n'est autre que Salmân al-Farsî.


D'autres opinions sont également rapportées, mentionnant des personnages anonymes ou quasiment anonymes, et qui peuvent éventuellement bel et bien en un sens se rapporter à ce verset de manière partielle, mais attardons nous sur cette opinion selon laquelle il s'agit de Salmân al-Farsî.

Le Tafsîr d'al-Dahhak n'est pas une source imamite (les sources imamites étant d'ailleurs relativement silencieuses sur le sujet), mais al-Dahhak était un Tabî'î ayant vécu durant le premier siècle de l'hégire et son témoignage représente donc un intérêt historiquement puisqu'il permet d'avoir un point de vue exégétique remontant aux origines même de l'Islam, avant que les schismes ne se se solidifient en diverses écoles de pensées bien définies. 


Il meurt en effet en l'an 102 de l'hégire (720 ap. J-C), soit près de 47 ans avant la mort d'Abû Hanifah, 75 ans avant celle de Malik, 100 ans avant celle d'al-Shafi'î, 135 avant celle d'Ahmad. Et ce, sans compter le temps qu'il fallut ensuite, non aux quatre "Imâms" eux-mêmes, mais à leurs continuateurs pour former une orthodoxie sunnite bien délimitée juridiquement et théologiquement. Mais cela nous emmène déjà trop loin, retenons simplement qu'il serait plus convenable d'appeler cette source "proto-sunnite" que sunnite.

Il rapporte dans son Tafsîr (disponible ici, p. 524).

"لسان الذي يلحدون إليه اعجمي" كانوا يقولون إنما يعلمه سلمان الفارسي"

"La langue de celui qu'ils discréditent est étrangère" : Ils disaient que c'est Salmân al-Farsî qui lui enseignait (le Coran).

Selon cette interprétation donc, les infidèles accusaient le Saint Prophète notre bien aimé Mohammad, que la paix et les prières de Dieu soient sur lui, d'avoir pour informateur secret Salmân al-Farsî.

Celui que Mohammad appelait "l'Esprit Saint" ou "Gabriel" n'était donc, selon eux, rien qu'un homme, et cet homme n'était autre que Salmân al-Farsî. Il est en effet le candidat idéal d'une telle accusation, ancien mazdéen converti au christianisme et ayant passé des années à étudier les écritures des différentes religions. Dans le cadre d'une société tribale et relativement hostile à l'étranger, au "a'jâm", il peut se comprendre que ce personnage énigmatique ayant voyagé des siècles durant à travers monts et vallées ait éveillé quelque soupçon.


En outre, la critique textuelle moderne a démontré la présence d'influences et de sources extérieures judéo-chrétiennes, mazdéennes et autres dans le Coran, ce qui renforcerait le crédit de cette accusation.

Dès lors, deux possibilités :

--Ou bien il y a quelque réalité à l'accusation des infidèles, et Salmân fut effectivement celui que le Saint Prophète nommait "Gabriel" et "l'Esprit Saint"
--Ou bien les influences étrangères dans le Coran sont une coïncidence, les Anges sont des êtres invisibles avec des ailes et les infidèles avaient juste le mauvais soupçon

2. « Ce n'est qu'un être humain qui lui enseigne. » : Si c'est un Humain, comment peut-il être un Ange, si c'est un Ange comment peut-il être un Humain ?

Une chose existe par sa forme d'apparaître. Lorsque Dieu se manifeste à Moïse en l'appelant le buisson ardent, dans l'expérience de Moïse c'est Dieu et non un simple buisson qui s'adresse à lui. Lorsque le Prophète entreprend le Mir'aj et qu'il atteint le Lotus de la Limite, et que Dieu s'adresse à lui par la voix d'Ali : à cet instant, dans l'expérience du Saint Prophète, c'est Dieu et non la voix d'Ali qui s'adresse à lui.

N'en va-t-il pas de même pour l'Esprit Saint ou Gabriel ? Sous quelle forme peut-il bien se manifester sinon une forme humaine ? En témoignent, à titre de preuve, l'ensemble des traditions dans lesquelles un homme vient enseigner la religion au Prophète, et qu'ensuite le Prophète informe ses compagnons l'entourant que c'est Gabriel qui vint lui donner des nouvelles.

Allah, Exalté dans Sa parole, dit par ailleurs dans Son Saint Livre :

"Et ils disent: «Pourquoi n'a-t-on pas fait descendre sur lui (Muhammad) un Ange?» Si Nous avions fait descendre un Ange, c'eût été, sûrement, affaire faite; puis on ne leur eût point donné de délai.

Si Nous avions désigné un Ange [comme prophète], Nous aurions fait de lui un homme et Nous leur aurions causé la même confusion que celle dans laquelle ils sont."

(An'am, 8-9, arabe ici)

Encore une fois, l'accusation des infidèles n'a de sens que par rapport à leur illusion : ils voudraient qu'un être lumineux et ailé descende du Ciel pour preuve de leur créateur, et ils font des astres et des êtres spirituels tels que les Anges des divinités en dehors d'Allah, que Dieu les maudisse pour leur incrédulité ! Ils ont méprisé le Messager sous prétexte de son humanité, ne réalisant pas qu'elle était la meilleure preuve de son élection divine, du fait de la fonction de Vicaire accordée par Dieu sur la Création à notre père Adam, que la paix soit sur lui !

En réalité, quand bien même Dieu désignerait un Ange comme Prophète : il lui donnerait l'apparence d'un homme, et ils auraient ainsi été tout aussi confus.

Al-Majlisî dans le premier volume de son encyclopédique Hayat al-Qulub mentionne l'histoire d'Adam et de Seth (surnommé "Hibatu-Llâh", le "Présent de Dieu"), Gabriel y apparait aux côtés d'Adam et Seth comme un intermédiaire entre eux. Adam représentant la Prophétie, Seth l'Imamat, et Gabriel le Bâb, qui est la Station qu'occupe Salmân.


A titre d'exemple, voilà un extrait de l'une des traditions qu'il rapporte :


"Lorsqu'Adam était sur son lit de mort, il convoqua Hibatu-Llâh (Seth) et lui dit d'adresser ses salutations à l'Archange Gabriel, ou à quelque Ange qu'il rencontrerait. "Dis-leur que ton père les appelle à un fruit du Paradis". Hibatu-Llâh rencontra l'Archange Gabriel et lui transmis le message de son vénérable père. L'Archange Gabriel - que la paix soit sur lui - dit : "ô Hibatu-Llâh ! Ton père est parti rejoindre Son Créateur, et je viens pour prier la prière funéraire sur lui...


Alors que Hibatu-Llâh rentrait chez lui, il vit qu'Adam avait chuté de sa demeure céleste. L'Archange Gabriel lui enseigna la méthode du bain rituel du cadavre. Hibatu-Llâh lava Adam, et lorsque ce fut le moment de la prière des morts, Hibatu-Llâh a dit à l'Ange Gabriel de se tenir devant et de prier. L'Archange Gabriel dit "Puisque Dieu nous a un jour demandé de nous prosterner devant Adam, il n'est pas approprié que nous guidions la prière de quiconque parmi ses fils". Hibatu-Llâh se tint devant l'Archange Gabriel et fit la prière funéraire. L'Archange Gabriel se tenait derrière lui en compagnie d'un groupe d'anges (...)"


Plus loin, il rapporte :


"... Lorsqu'il surmonta son chagrin, il procréa et Dieu lui accorda un fils, Seth est né enfant unique. Seth était nommé Hibatu-Llâh, il fut le premier successeur à qui un testament fut transmis."


(Source en anglais et en persan)


Cela nous amène à préciser notre première hypothèse, les infidèles ne témoignaient-ils pas contre eux-mêmes en pointant du doigt Salman ?

Que Dieu nous fasse voir les choses telles qu'elles sont !

"Quel est celui qui constituerait pour vous une armée [capable] de vous secourir, en dehors du Tout Miséricordieux? En vérité les mécréants sont dans l’illusion complète."

(al-Mulk, 20, arabe ici)

Ô Allah prie sur Mohammad et la famille de Mohammad, et hâte leur soulagement !




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