Dieu n'est Connu qu'à travers Lui-même : Troisième partie, Commentaire du hadîth n°3

 Dieu n'est Connu qu'à travers Lui-même

Introduction, commentaire et traduction du chapitre 41 du Kitâb al-Tawhîd de shaykh al-Saduq (m. 380/991) intitulé « Il [Dieu], l'Exalté Majestueux, n'est pas connu sauf par Lui-même »

Troisième partie, 
Commentaire du hadîth n°3
 
بسم الله الرحمٰن الرحيم
اللهمّ صلّ على محمّد وآل محمّد
 

Introduction à la troisième partie :

Cette partie a pour objet le commentaire du troisième hadîth de notre chapitre. Il consiste en trois déclarations : Connaissez Dieu par Dieu, le Messager par le Message, et les Détenteurs de l'Ordre ('Ulil-âmr) par le convenable (al-ma'rûf), la justice (al-'adl) et l'excellence (al-ihsân). Nous laisserons intentionnellement de côté le commentaire de la première déclaration au sujet de la connaissance de Dieu par Dieu pour le moment.

Nous nous concentrerons sur les deux autres déclarations : « [Reconnaissez] le Messager par le Message, et les Détenteurs de l'Ordre ('Ûlil-âmr) par le convenable (al-ma'ruf), la justice (al-'adl) et l'excellence (al-ihsân) ».  Nous ne négligerons cependant pas d'établir un lien constant avec le sujet plus général de notre étude qui concerne la connaissance de Dieu par Dieu. 

Nous aurons en effet à montrer que la reconnaissance du Messager par le Message signifie que le critère de distinction entre le vrai et le faux messager ne saurait reposer sur le jugement subjectif que l'on pourrait porter sur lui. Les Quraysh, son propre clan, l'accusèrent de folie, de mensonge, de sorcellerie et de maintes autres calomnies. Plutôt, le Messager est-il reconnu à travers le Message : c'est-à-dire que le caractère véridique de son appel à Dieu témoigne de son propre caractère véridique. Le Réel émane son message, comme témoignage de sa sincérité pure et de son élection divine. C'est donc à travers Dieu que Mohammad est reconnu.

Nous éluciderons ensuite l'identité de ces Détenteur de l'Ordre ('Ulil-âmr) dont l'obéissance est rendue solidaire de l'obéissance au Messager dans le Saint Coran (al-Nisâ', 59), comme nous aurons à y revenir. Pour ce faire, nous étudierons d'abord la vision de l'Islâm majoritaire en abordant le point  de vue d'Ibn Taymiyyah et d'al-Ghâzalî. Puis nous analyserons linguistiquement cette expression et reviendront sur sa signification théologique dans le shi'isme ancien. Enfin, nous établirons que seuls les Douze Imâms d'Ahl al-Bayt – que la paix soit sur eux – correspondent au sens réel de cette appellation, et nous montrerons qu'ils sont ceux qui se sont le plus caractérisés par les trois critères cités par l'Imâm al-Sâdiq : le convenable, la justice et l'excellence. Bonne lecture.



  • Troisième hadith : [Connaître Dieu par Dieu, le Messager par le Message, et les Imâms par leur droiture]

(3) Mon père, que Dieu lui fasse Miséricorde – Sa'd fils d'Abdallâh Ahmad fils de Mohammad fils d'Isâ Mohammad fils d'Abî 'Umayr Mohammad fils de Hamrân d'al-Fadhl fils d'al-Sakin, qui rapporte d'Abî Abdallah [al-Sâdiq] – sur lui la paix – qui dit :

Le commandeur des Croyants – sur Lui la paix – a dit « Connaissez Dieu par Dieu, le Messager par le Message, les Détenteurs de l'Ordre ('Ûlil-âmr) par le convenable (al-ma'rûf), par la justice (al-'adl) et par l'excellence (al-ihsân). ». »


Commentaire : La méthode pour reconnaître un véritable Apôtre de Dieu, et les véritables Détenteurs de l'Ordre ('Ûlil-âmr) comme calque de la méthode pour connaître Dieu.


I) Reconnaissez le Messager par le Message et les Détenteurs de l'Ordre ('Ûlil-âmr)  par le convenable, par la justice et par l'excellence

L'Imâm – que sa grâce et sa paix soient sur nous – commence son propos en réitérant « connaissez Dieu par Dieu » et c'est ce qui est déjà explicité dans le commentaire des autres ahadîth. Suite à cette première déclaration, le Prophète introduit deux autres propositions qui sont construites en quelque sorte en miroir de la première.

 L'une au sujet du Message « [et reconnaissez] le Messager par le Message » et nous aurions pu traduire « l'Apôtre par son Apostolat », en ce sens que la signification de la Risalah du Messager ou Apôtre de Dieu intègre aussi bien le « Message » qu'est le Coran, que plus généralement son enseignement, ses actions et jugements. L'autre au sujet des Détenteurs de l'Ordre « [et reconnaissez] les Détenteurs de l'Ordre ('Ûlil-âmr) par le convenable, par la justice et par l'excellence (ihsân) », cette expression "'Ulil-âmr" est d'origine coranique (4/59, cf : infra), nous préciserons dans ce qui suit le sens de ces deux maximes.


1) En lisant « [reconnaissez] le Messager par le Message », une première remarque s'impose immédiatement, l'Imâm n'a pas dit « reconnaissez le Message par le Messager », et cela oblige déjà au moins trois remarques :

Primo, ce n'est pas le Messager qui est fait critère du Message, c'est-à-dire qu'il n'est pas question de scruter les actions du Messager pour estimer si celles-ci sont conformes ou non à notre vision du bien et du mal. En effet, chaque époque porte avec elle ses mœurs propres, qui délimitent ce qu'il est acceptable ou inacceptable de penser, de dire, ou de faire. Ces mœurs ne sont pas plus le fruit d'une inspiration divine que d'une insufflation diabolique, elles sont ce qu'elles sont, mais ne sont pas infaillibles. Ainsi, quand bien même le Prophète Mohammad – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens – fut la Meilleure des Créatures de Dieu (khayri khalqi-Llâh), il choqua et dérouta les Quraysh par son comportement et ses paroles si bien qu'ils l'accusèrent lui et les premiers croyants de mille calomnies. 

Pourtant n'était-il pas une Miséricorde pour les mondes (al-Anbiya', 107) ? N'avait-il pas l'avantage sur eux dans la moralité, dans l'éloquence et dans la certitude en Dieu l'Unique ? N'était-il pas le Véridique, le Sûr (al-Sâdiq al-Amîn) ? N'était-il pas celui dont Dieu a fait un exemple pour les croyants (al-Ahzâb, 22 ? N'est-ce pas lui au sujet duquel Dieu a dit dans le Coran « Ceux qui suivent le Messager, le Prophète Ummî (non-juif) dont le nom est inscrit auprès d'eux dans la Torah et l'Evangile ! Il leur ordonne le convenable, leur défend le blâmable, leur rend licites les bonnes choses, leur interdit les mauvaises, et leur ôte le fardeau et les jougs qui étaient sur eux ! Ceux qui croiront en lui, le soutiendront, lui porteront secours et suivront la lumière descendue avec lui; ceux-là seront les gagnants ! » al-A'râf, 157 ?

Secundo, c'est le Message qui est fait critère du Messager, c'est-à-dire que ce qui est à scruter : ce n'est pas une simple créature que l'on jugerait comme telle, disposant de ses faiblesses. C'est plutôt le Message qui doit être mesuré à l'aune du Réel. Mohammad fut la meilleure des créations de Dieu et son élection divine est telle qu'il est la norme ultime de tout jugement. « Il ne s'exprime pas non-plus selon son propre désir, car en vérité ce n'est qu'une inspiration qui lui fut inspirée » al-A'râf, 157. Dès lors, tous les arguments de ceux qui rejettent le Prophète selon ses actes, aujourd'hui comme d'hier, sont caduques tant qu'ils ne donnent aucune objection au fond de sa prophétie et qu'ils n'apportent pas un argument décisif qui infirme sa prophétie. Et à coup sûr ils ne le feront jamais, car il les a appelé à l'Unité de Dieu, et l'Unicité de Dieu est telle une forteresse inexpugnable.

C'est à partir de cette conscience unitaire que toutes les autres prescriptions découlent comme logiquement et comme une expression des attributs divins qui s'y manifestent de manière évidente pour les croyants sincères en Dieu l'Unique. N'est-ce pas Lui qui dit : « Ceux à qui nous avons donné le Livre, le reconnaissent comme ils reconnaissent leurs enfants. Or une partie d’entre eux cache la vérité, alors qu’ils la savent ! » al-Ma'idah, 82-83 ?

Tertio, cette solidarité entre la véracité du Message et la véracité du Messager, et non l'inverse, suppose une certaine tension entre le Messager et son auditoire. Puisqu'il se présente comme inspiré, et place sur eux la charge de la preuve pour démentir sa prophétie, c'est nécessairement soit qu'il est un menteur, soit qu'il est un véridique. Et pour estimer s'il est véridique, il faut tendre l'oreille à son Message.

 

Il serait étrange de résumer le Message du Prophète Mohammad que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens à la législation qu'il a apporté. En effet, chaque Prophète a apporté avec lui une législation qui rendait compte des jugements et des prescriptions de Dieu en une certaine époque, et se rapportant à un certain contexte qui les justifiait. En revanche, si l'on fait abstraction de cet aspect contingent : le Message de l'ensemble des Prophètes véridiques fut un seul. Il fut l'appel à Dieu l'Unique, Magnifiée soit Sa Louange et Sanctifiés soient ses Noms !

Dès lors, la prophétie de Mohammad ne peut qu'être reconnue. Mais elle ne peut être reconnue qu'en tant qu'elle est l'expression d'une vérité unique qui se manifeste sous des formes variées, commune à l'ensemble des Prophètes avant lui. Mieux, le Prophète Mohammad – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens – en tant qu'homme symbolise à lui seul le parachèvement et l'accomplissement de tous les Prophètes avant lui. Il en est le Sceau (Khâtim), il ferme la Prophétie législatrice en annonçant l'ouverture d'un nouveau cycle, via l'évènement de Ghadîr Khumm d'une importance capitale dans le Shi'îsme. Ce nouveau cycle, c'est celui de l'Imâmat et de l'interprétation ésotérique (ta'wil).


2) Nous en venons, à ce titre, à la lecture de la troisième déclaration de l'Imâm – que sa grâce et sa paix soient sur nous « [et reconnaissez] les Détenteurs de l'Ordre ('Ûlil-âmr) par le convenable, par la justice et par l'excellence (ihsân). » qui nous pousse la comparaison avec la déclaration précédente sur le Messager.

Ce n'est plus par le Message que les Détenteurs de l'Ordre peuvent être reconnus, puisque le Message est établi par le Messager, dont les Détenteurs de l'Ordre sont les successeurs et les légataires. Toutefois, au vu de la foule de savants et de juristes de tous poils qui prétendent être les héritiers de la méthodologie prophétique et être les garants de la préservation de la religion de Dieu, il nous faut un critère pour distinguer le bon grain de l'ivraie. Or, l'Imâm al-Sâdiq, que la paix soit sur lui, nous l'assure : c'est « par le convenable (al-ma'rûf), par la justice (al-'adl) et par l'excellence (ihsân). » que les véritables Détenteurs de l'Ordre ('Ûlil-âmr) sont reconnus.

 

L'origine de cette expression « Détenteurs de l'Ordre » ('Ûlil-âmr) est coranique, Allah, Exalté dans ce qu'Il dit, dit en effet :

يَـٰٓأَيُّهَا ٱلَّذِينَ ءَامَنُوٓا۟ أَطِيعُوا۟ ٱللَّهَ وَأَطِيعُوا۟ ٱلرَّسُولَ وَأُو۟لِى ٱلْأَمْرِ مِنكُمْ ۖ فَإِن تَنَـٰزَعْتُمْ فِى شَىْءٍ فَرُدُّوهُ إِلَى ٱللَّهِ وَٱلرَّسُولِ إِن كُنتُمْ تُؤْمِنُونَ بِٱللَّهِ وَٱلْيَوْمِ ٱلْـَٔاخِرِ ۚ ذَٰلِكَ خَيْرٌ وَأَحْسَنُ تَأْوِيلًا
« Ô vous qui avez cru ! Obéissez à Dieu, et obéissez au Messager et aux Détenteurs de l'Ordre ('Ulil-âmr) parmi vous ; Si vous divergez ensuite en quelque chose : renvoyez-la à Dieu et à Son Messager, si vous croyez en Dieu et au Jour Dernier, cela est meilleur et de meilleure compréhension. » al-Nisâ, 59

Les commentateurs de parmi les gens de l'apparent interprètent cette expression comme ayant le sens des savants et des gouverneurs. Nous pensons que cela est impossible pour une raison simple : le verset emploie à deux reprises l'impératif « obéissez », une première fois pour l’obéissance à Dieu (atî'û-Llâh), une deuxième fois pour l'obéissance au Messager et aux Détenteurs de l'Ordre (Ulil-âmr) de parmi vous, (wa-atî'û l-rasûl wa ûlil-âmri minkum). 

Or, comme cela est évident, Dieu ne peut placer sur un pieds d'égalité l'obéissance (ta'ah) au Messager, qui est inconditionnée, et à un «  savant » ou à un « gouverneur » faillible, susceptible de commettre des erreurs, sans quoi il soumettrait ses serviteurs au doute et à la confusion, ce qui n'est pas possible. Et quand bien même un savant ou un gouverneur faillible serait investi d'une certaine autorité par Dieu et son prophète, l'obéissance lui revient : mais en tant qu'elle lui a été transmise par un être qui, lui, est infaillible et est le seul véritable Détenteur de l'Ordre, qu'il délègue comme il le souhaite puisque tout ce qu'il fait n'est qu'inspiration.

 

Par ailleurs, et avant de passer à la suite de notre raisonnement, nous pensons utile de faire au moins deux remarques : 

Premièrement, Dieu dit dans la suite du verset « Si vous divergez ensuite en quelque chose : renvoyez-la à Dieu et à Son Messager, si vous croyez en Dieu et au Jour Dernier, cela est meilleur et de meilleure compréhension. », c'est-à-dire que Dieu a anticipé que la communauté de son Prophète allait diverger quant à la nature des détenteurs de l'ordre. La suite de notre étude s'attachera à clarifier définitivement cette question.

Deuxièmement, ce âmr que nous traduisons par Ordre renvoie non-pas simplement à une autorité temporelle et contingente, mais à quelque chose qui participe directement de la volonté de Dieu. Dieu dit : « Et ils t'interrogent au sujet de l'Esprit (al-Rûh), - Dis: "l'Esprit relève de l'Ordre de mon Seigneur !" (al-Rûh min amri rabbî). Et on ne vous a donné que peu de connaissance.» al-Isrâ', 85, Il dit encore : « Durant celle-ci [la sainte Nuit de Qadr] descendent les Anges ainsi que l'Esprit (al-Rûh), par permission de leur Seigneur pour tout ordre (min kolli-âmr). » al-Qadr, 4 ; c'est durant la sainte nuit de Qadr que le Coran fut révélé au Saint Prophète Mohammad – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens –, et cette nuit se répétant chaque année : il est nécessaire qu'il y a toujours un « Détenteur de l'Ordre » sur lequel l'Esprit et les Anges puissent descendre et envelopper de leur présence afin de l'informer de l'Ordre divin. Mais nous aurons l'occasion d'y revenir plus en profondeur si Dieu le permet.

 

II) Qu'est-ce qui fonde une autorité légitime selon l'Islâm majoritaire sunnite ? : l'exemple d'Ibn Taymiyyah (m. 1328) et d'al-Ghazâlî

Même si nous admettions l'interprétation des gens de l'apparent, à savoir que le Détenteur de l'Ordre  est le gouverneur temporel ou le savant religieux, encore faut-il estimer ce qui fonde la légitimité d'un Imâm au double sens de « gouverneur » temporel et de « savant » religieux en Islâm ! Et cette question, celle de l'autorité, se situe au point névralgique du débat entre shi'îtes et sunnites. Nous tenterons donc dans ce qui suit de présenter ce qui fonde la légitimité d'une autorité en Islâm, d'abord dans le Sunnisme – en abordant les deux points de vue d'ibn Taymiyyâh et d'al-Ghazâlî , en le comparant dans un second temps avec les critères de notre hadîth qui invite à reconnaître l'autorité « par le convenable, par la justice et par l'excellence (ihsân). », en mettant à chaque fois en perspective historique ces visions.

 

1) Ibn Taymiyyah (m. 1328), Majmû' al-Fatawa :

Le célèbre Ibn Taymiyyah (m. 1328), surnommé « Shaykh al-Islâm » par ses sympathisants, distingue deux manières par lesquelles l'allégeance peut être établie en Islâm. La première méthode est la méthode de la consultation (al-shûrâ), la deuxième est la méthode de la prise de pouvoir violente (al-taghâlub). 

Quant à la consultation, il l'attribue à la tradition des quatre premiers califes « rashidûn » , elle requiert la consultation des « gens de la renommée et de la croyance » (ahl il-hal wal-'aqd), c'est-à-dire l'élite tribale, politique, militaire, religieuse et intellectuelle de la communauté musulmane prise dans son ensemble. Aucun gouvernement musulman à l'heure actuelle n'est établi sur ce mode de constitution, et la première shûrâ qui servit d'exemple à toutes les autres se fit en l'absence de l'élite réelle de la communauté, celle qui fut bénie sous le manteau : Alî, le porteur de l'étendard du Prophète ; Fatimah l'Éclatante, la Très-Pure ; Hasân le Basilic du Coeur du Prophète et Husayn le Seigneur des Martyrs – que la paix de Dieu soit sur eux tous, que leur paix soit sur nous et que Dieu nous permette de ne jamais les oublier ! , qui étaient trop occupés autour du corps encore chaud du Prophète – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui –, lors de ses funérailles où ils furent désertés par ceux qui n'avaient visiblement de préoccupation que le pouvoir.

En ce qui concerne deuxième méthode, celle de la prise de pouvoir violente (al-taghâlub) : elle est celle qui fonda l'ensemble des états musulmans jusqu'à ce jour. Elle s'impose par la suprématie de fait, et le gouverneur qui s'empare de ce pouvoir, pourvu qu'il est musulman, doit être obéit « quand bien même il vous battrait et vous saisirait vos biens » selon le célèbre hadîth du Prophète ! Or si le shi'îte entièrement docile à son Imâm accepte volontiers cet adage, et remet volontiers sa vie et ses biens entre les mains de l'Imâm, sa volonté étant nécessairement reconnue comme supérieure à toutes les autres : qu'en est-il de la position sunnite qui requiert une obéissance servile aux gouvernants de ce monde, en dépit de leurs injustices ?


2) Cette méthode, disions-nous, est celle qui fonda l'ensemble des états musulmans. Nous établirons ci-dessous une chronologie complète de ce phénomène au cœur des luttes de pouvoir de l'histoire musulmane.

a) D'abord les trois premiers califes historiques (632-656) : 

Abû Bakr (m. 634) fut désigné par la « Shûrâ » du préau des Banî Sa'da (Saqifat Banî Sa'da) dont étaient vraisemblablement exclus au moins une partie des « Gens de l'influence et de la renommée » (à moins que l'on affirme que les Ahl al-Kisâ n'en fîmes pas partie, Dieu nous en préserve!). Son élection fut tellement peu consensuelle qu'elle se suivit immédiatement de la première guerre civile de l'Islâm, les tristement célèbres « guerres d'apostasies » (hurûb al-riddah), justifiée par le refus par une partie des populations jadis sous la juridiction de l'État prophétique, de payer la zakâh à Abû Bakr. En témoigne l'histoire particulièrement significative de Malik fils de Nuwayrâ, qui selon ce que rapporte al-Baladhurî aurait dit « Je ne verserais d'impôt qu'à celui qui fut désigné à Ghadîr », avant d'être violemment assassiné. Lui qui fut jadis le percepteur d'impôt attitré du Prophète Mohammad – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens – auprès de sa tribu. Cela témoigne, comme cela est admis par l'historiographie musulmane elle-même, que les prétendus « apostats » étaient essentiellement des apostats politiques. Aux motifs possiblement divers, et avec parmi eux des shi'îtes fidèles à l'Imâm Alî – que la paix soit sur lui.

–  'Umar (m. 644) fut choisi directement par son prédécesseur Abû Bakr,

'Uthmân (m. 656), lorsque son prédécesseur 'Umar était sur son lit de mort, il réunit un comité composé de six personnes à partir duquel il devait être désigné un successeur. Le comité était composé de Alî, 'Uthmân, 'Abd al-Rahmân fils d'Awf (m. 654), Sa'd fils d'Abî Waqqas (m. entre 664 et 675 âgé et riche, ayant opté pour la neutralité dans la bataille du Chameau et ayant voté pour 'Abd al-Rahmân fils d'Awf au lieu d'Alî, ce qui permit l'élection d'Uthmân), Zubayr fils d'al-'Awwam (m. 656 au combat contre Alî – que la paix soit sur lui durant la bataille du Chameau) et Abû Talha al-Ansarî (m. 654). Le népotisme, la corruption et le tribalisme des Omeyyades avaient déjà commencé par la mise au pouvoir de Mu'awiyâ au Shâm par 'Uthmân, du fait de leur proximité familiale. Elle se poursuivra sous les Omeyyades dans un ethno-état arabe, imposant la djiziya jusqu'aux convertis non-arabes (les fameux « Mawâlî »). Abû Dharr al-Ghifarî – que Dieu l’Agrée et Il l'Agrée – s'opposa notoirement à ce népotisme et à cette corruption, que ce soit la nomination de Mu'awiyâ ou les dons d'argents délirants de l'État musulman aux proches d'Uthmân tandis que les musulmans étaient dans la famine. Ce pourquoi il fut exilé par 'Uthmân.

  

b) Puis le cas particulier de l'Imâm Alî fils d'Abî Tâlib et de son fils al-Hasân  – que la paix et les prières de Dieu soient sur eux (656-661) :

 – Alî fils d'Abî Tâlib – que sa grâce et sa paix soient sur nous – quant à lui n'eut même pas besoin de prendre l'initiative de former une Shûrâ que les musulmans accoururent vers lui pour lui demander de prendre le pouvoir. Il fut initialement réticent à cela, avec le danger que les dissensions suivant l'assassinat d'Uthmân impliquaient. Près de vingt-quatre ans après le départ de l'Envoyé, et devant leur insistance, l'Imâm accepta néanmoins de prendre cette responsabilité. Il fut en effet celui qui permit en pratique aux trois premiers califats de se tenir, et il fut le conseiller et le ministre de chacun des califes, à un point tel qu'Umar fut obligé de confesser ce terrible aveu : « Sans Alî fils d'Abî Tâlib j'aurais péri. ».

La première décision qu'il prit alors fut l'énigmatique choix de déplacer la capitale, avec tout ce que cela implique d'efforts et de moyens, depuis Médine, l'historique capitale de l'État musulman du Prophète, vers Kûfâ, ville récemment fondée en 636 sous le califat d'Umar, juste après la bataille de Yarmouk. Cette ville, au milieu du pays d'Irâk était une région historique de l'Empire Perse Sassanide dans lequel il avait sa capitale, Ctésiphon. Contrairement à Médine, il s'agit donc à ce moment essentiellement d'une terre a'jamî (non-arabe) dans laquelle s'échangent les idées religieuses de toutes sortes : manichéisme, gnosticisme, mandéisme, sabéisme, mazdéisme, zoroastrisme etc. 

La « première fitnâh » que connut la communauté islamique commença par le soulèvement d'A'ishâh (m. 632) avec certains compagnons comme al-Zubayr fils d'al-'Awwâm ou Talha contre l'Imâm Alî, sur Lui la paix, lors de la tristement célèbre bataille du Chameau. Elle se poursuivit par la guerre ouverte menée par le Levant (Bilad al-Shâm), sous le commandement de Mu'awiyâ fils d'Abî Sufyân, contre l'Imâm Alî – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui !

 – Hasân fils d'Alî – que leur paix soit sur nous – fut désigné à sa succession de l'État musulman par son père, comme son père fut désigné par son grand-père le Saint Prophète – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et sa famille. Mais il n'eut même pas le temps de prendre ses fonctions qu'il fut démis de force par Mu'awiyâ fils d'Abî Sufyan.

 

c) Puis  la dynastie Omeyyade (661-750) :

– Mu'awîya (m. 680), disions-nous, prit l'avantage sur l'Imâm Hasân –  que la paix soit sur lui après avoir combattu des années durant son père au point de le forcer à abdiquer au prétexte de la « stabilité de la communauté ». Acculé et sans moyen de résister par la force, l'Imâm Hasân fit preuve d'une immense patience et consentit. Mu'awiyâ imposa ainsi son autorité depuis le Levant (Bilad al-Shâm) d'une main de fer, au mépris des musulmans vivant dans des conditions déplorables. Il promit néanmoins à Hasân que s'il venait à mourir, il lui restituerait le pouvoir à lui ou à défaut à son frère Husayn –  que la paix soit sur lui et sur son fils Alî et sur les siens et sur ses enfants et sur ses compagnons – ... nous savons que Mu'awiyâ ne tint en rien sa promesse, et qu'il imposa son fils Yâzid, avec les conséquences tragiques qui s'en suivirent et que nous connaissons tous, à savoir le martyr de l'Imâm al-Husayn – que la paix soit sur lui – accompagné des autres martyrs de parmi ses compagnons et sa famille – que la paix soit sur eux tous – dans la vallée de Karbalâ en Irâk.

– Yazid fils de Mu'awiyâ (m. 683), succédant le 6 mai 680 de manière dynastique et toujours par la force et la contrainte à son père, il s'en suivit une dynastie qui régna sur l'Empire musulman jusqu'en 750. Période durant laquelle il fut d'usage de maudire Alî sur les chaires des mosquées jusqu'à ce que le 12ème calife Omeyyade, 'Umar fils d'Abd al-'Azîz (m. 720), ne décide d'abolir cette pratique et de rendre la terre de Fadak aux Hashémites après qu'elle leur fut confisquée par Abû Bakr. Puis, des suites de tensions politiques et d’instabilités créée par divers groupements shi'îtes, dévots zoroastriens mécontents de l'invasion musulmane, et de nombreuses autres contestations de nature théologico-politiques et sociales menèrent à la formation du mouvement Abbasside. La révolte prit de l'ampleur jusqu'à ce que les troupes Abbassides ne prennent de nouveau le pouvoir par le force en vainquant les troupes Omeyyades lors de la bataille du Grand Zab le 25 janvier 750.

d) Puis la dynastie Abbasside (750-1516) :

– Abû al-'Abbâs Abdallâh fils de Mohammad fils d'Alî fils d'Abdallâh fils d'al-'Abbâs (m. 754) dit « le Sanguinaire » (al-Saffâh), prit alors le pouvoir, fondant la dynastie Abbasside. L'État Abbasside à proprement parler constitua alors l'âge d'or de la littérature et des sciences du monde musulman, tout en présentant également également de nombreuses injustices, à commencer par le traitement réservé aux Imâms de la descendance des Prophètes qui se traduisit tantôt par l'emprisonnement, tantôt par l'assassinat, tantôt les deux. Il ne dura en tant qu'État unifié à proprement parler que jusqu'au dixième siècle où l'Empire musulman se divisa sous la coupe de divers émirs et rois locaux. C'est dans cette période qu'émerge réellement la littérature musulmane classique, surtout le Hadîth, les sources pré-classiques étant relativement peu nombreuses en comparaison. Le califat se maintint néanmoins de manière formelle sous la coupe de divers royautés, jusqu'aux Mamelouks qui furent défaits par Sélim Ier à la bataille de Marj Dabiq en 1516.
 

e) Enfin, la dynastie des Ottomans (1516-1926) :

– Sélim Ier (m. 1520) dit « le Terrible » (yavuz) peu de temps après avoir vaincu et fait prisonnier lors de cette bataille le dernier calife Abbasside al-Mutawakkil III, il s'empare des insignes du pouvoir califal du Caire et établit la domination du Sultanat Ottoman sur l'Empire musulman. Les Ottomans conservent cette domination jusqu'au décret d'abolition du califat par l'État Turc moderne fondé par Atatürk, le 3 mars 1926, il y a 96 ans.


Comme nous le voyons, loin de représenter l'exception : le coup d'état, la prise de pouvoir par la force et par la domination matérielle de l'ennemi ont été la norme dans l'histoire de l'Islâm. Au mépris complet des prescriptions du Prophète et de son incitation à suivre les Gens de sa demeure, les Ahl al-Bayt. La prise de pouvoir par la force est fondée juridiquement par cette fatwâ du théologien Ibn Taymiyyah, dans lequel se reconnaissent la totalité des musulmans se réclamant du salafisme-wahhabisme à notre époque.

 

3) Al-Ghâzalî (m. 1111), Ihya' 'ulûm al-dîn

Néanmoins, la vision d'Ibn Taymiyyah n'est pas hégémonique dans le sunnisme. Reportons-nous donc à l'avis d'une figure tout aussi consensuelle qu'Ibn Taymiyyâ dans le salafîsme, mais cette fois-ci pour le sunnisme plus traditionnel, ash'arîte, maturidîte et hanbalîte opposés à la dite déviation wahhabite : Abu Hamîd al-Ghazâlî (m. 1111), aussi surommé « la Preuve de l'Islâm » (Hujjat al-Islâm) par ses sympathisants.

L'historienne et islamologue danoise Patricia Crone (m. 2015) écrit dans son article « Shûrâ as an elective institution » (2001), citant al-Iqtisâd et les célèbres  Ihyâ 'Ulûm al-Dîn :

 « Les derniers vestiges de procédures électives furent mises à l'écart définitivement par les Seldjoukides. Il n'y avait que trois méthodes par lesquelles pouvait être désigné l'Imâm selon al-Ghazâlî : la désignation par le Prophète (tel que le prétendent les Shi'îtes), la désignation par l'Imâm précédent, et la délégation (tafwid) par un homme puissant. [source : al-Iqtisâd, f. 237]

[Il dit encore dans Ihyâ 'Ulûm al-Dîn, Le Caire, 1282, ii, 116/6] « L'autorité (al-wilâya) de nos jours n'a d'autre justification que le pouvoir (al-shawka) ; quiconque reçoit l'allégeance du détenteur du pouvoir, il est le Calife ; et quiconque monopolise le pouvoir [temporel] tout en restant obéissant au calife pour la prière du Vendredi et pour frapper la monnaie, il est le sultan. ». » [1]

 

Cette attitude de soumission intégrale face à une autorité légitimée par la seule violence est indigne de l'Islâm, indigne de l'esprit du martyr de l'Imâm al-Husayn. Voilà d'ailleurs ce qu'al-Ghazâli écrit au sujet du fait de maudire Yazîd Ier, le calife responsable de la tragédie de Karbalâ, toujours dans son Ihya' 'Ulûm al-Dîn, vol. iv :

 « Et si l'on dit "est-il permis de maudire Yazīd en raison du fait qu'il a tué al-Ḥusayn ou qu'il l'a ordonné ?", nous répondons : ce fait n'est pas vérifié et, en tant que tel, il n'est même pas permis d'affirmer que Yazīd a tué al-Husayn ou a ordonné son meurtre puisqu'il s'agit d'une accusation non vérifiée. Ainsi, la malédiction est certainement inadmissible puisqu'il n'est pas permis d'accuser un musulman d'un péché majeur [comme le meurtre] sans preuve. En vérité, il est permis d'affirmer qu'Ibn Muljam a tué 'Alī et Abū Lu'lu' a tué 'Umar car cela a été établi par des preuves claires et est raconté par de multiples chaînes. Il est absolument inadmissible d'accuser un autre musulman de péché ou de mécréance sans preuves claires. »

Ces lignes peuvent paraître anodines, et le lecteur sunnite a tôt fait d'y voir un effort d'objectivité et de rigueur d'al-Ghâzalî. Or, il est évident qu'il s'agit là d'un biais de lecture de l'histoire qui vise à innocenter ceux qui furent pourtant de toute évidence des tyrans injustes et meurtriers, n'ayant pas le moindre égard pour le respect de la tradition du Saint Prophète et du Saint Coran, et encore moins pour les Ahl al-Bayt qui furent pourtant un dépôt confié aux musulmans.

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[1] Original en anglais : « The last vestiges of elective procedures were swept aways by the Seljuqs. There were only three methods whereby the imam could be appointed according to al-Ghazâlî: designation by the Prophet (as claimed by the Shi'ites), designation by the previous imam, and delegation of power (tafwid) from a strong man. [cf : al-Iqtisâd, f. 237]

[He says in Ihyâ 'Ulûm al-Dîn, Le Caire, 1282, ii, 116/6] « Authority (al-wilâya) nowadays follows nothing but power (al-shawka); whoever recieves allegiance from the possessor of power, he is the caliph; and whoever monopolizes power while remaining obedient to the caliph as regards the principles of the Friday oration and the coinage, he is the sultan. »

 

En résumé :

Que l'on reconnaisse en Ibn Taymiyyah le Shaykh de l'Islâm, ou que l'on voit en al-Ghâzalî la Preuve de l'Islâm : notre définition de l'autorité et de sa légitimité est fixée d'avance par des « gouverneurs » et des « savants » qui sont à la fois juges et partis et qui cherchent avant tout, consciemment ou par mimétisme, à maintenir leur domination.

Il est grand temps que le cri poussé par Husayn et ses compagnons à Karbalâ se fasse entendre des musulmans, shi'îtes et non-shi'îtes, qu'ils réalisent ainsi quelles sont les racines profondes de leur oppression.

L'Islâm majoritaire, tel qu'incarné par ibn Taymiyyah et al-Ghazâlî, respectivement pour la tendance néo-hanbalite et ash'aro-maturidîte, et confronté à l’impossibilité théorique de constituer une quelconque shûrâ à notre époque, ne permet donc que la domination par la suprématie matérielle et militaire. Cette situation laisse les musulmans de notre époque face à deux solutions en ce qui concerne l'autorité :

– L'acceptation passive des gouverneurs, et la soumission à leur égard érigée comme norme. C'est la justification théorique du salafisme quiétiste et du sunnisme ainsi que du soufisme institutionnels.

– L'excommunication du gouverneur et la prise de pouvoir brutale. C'est la justification théorique du salafisme jihadiste, d'al-Qa'idah, et encore à plus forte raison de Dâ'ish – qu'Allah les maudisse qui ont été jusqu'à proclamer un califat et à réclamer l'allégeance de tous les musulmans, déclarant apostats et rendant licite le sang de ceux qui le refusaient ou qui s'opposaient à eux... 

...Mais cette solution revient en pratique à une nouvelle acceptation passive des gouverneurs, et à une nouvelle soumission à leur égard érigée comme norme.

Est-il seulement concevable que Dieu fasse se valoir l'obéissance à Son Messager, notre Bien-Aimé Maître Mohammad – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens – à l'obéissance à l'un de ces dirigeants ? Cela défie l'entendement, il faut nécessairement que les Détenteurs de l'Ordre ('Ûlil-âmr) soient désignés par Dieu, et qu'ils incarnent une norme d'obéissance similaire à celle qui fut celle du Prophète Mohammad – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui –, en tant qu'elles reviennent toutes les deux à l’obéissance à Dieu.

 

III) Reconnaissez les Détenteurs de l'Ordre ('Ûlil-âmr) par le réputé convenable (al-ma'rûf), la justice (al-'adl) et l'excellence (al-ihsân) : le cas des douze Imâms de la demeure prophétique

Nous avons mis en évidence la conception de l'autorité de l'Islâm majoritaire sunnite comme justifiée par la suprématie de fait du gouverneur temporel sur ses sujets, à la condition qu'il soit musulman. Et nous avons affirmé qu'il était impossible qu'une telle conception de l'autorité justifie une obéissance mise à égal avec l'obéissance au Prophète, tel que Dieu le fait dans le verset de sourate al-Nisâ cité plus haut. En effet, le Prophète – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens – étant inspiré et élu par Dieu, il est la norme de toute action. 

C'est parce qu'il est l'exemple d'imitation par excellence pour tous les êtres humains qu'il mérite l'obéissance. Pour que Dieu fasse s'équivaloir l'obéissance au Prophète et l'obéissance à l'autorité, il faut donc nécessairement que cette autorité soit elle-même élue divinement, et il faut qu'elle représente une norme d'obéissance similaire à celle du Noble Prophète, ou bien qu'elle soit déléguée par ce dernier, en vertue même de sa propre élection et de sa propre éminence sur toutes les autres créatures. Pour déterminer l'identité des véritables Détenteurs de l'Ordre ('Ûlil-âmr) – ceux dont l'obéissance est placée sur un pieds d'égalité avec l'obéissance au Messager dans le Coran , nous procéderons en deux étapes.

Dans un premier temps, nous analyserons l'expression Ûlil-âmr à partir de la langue arabe et du Coran afin d'en préciser la signification, nous reviendrons à cet usage notamment sur l'énigmatique mention du âmr dans la sourate al-Qadr que nous évoquions plus haut. 

Dans un second temps, nous analyserons les trois caractéristiques par lesquelles l'Imâm nous invite à reconnaître les 'Ûlil-âmr (à savoir le convenable, la justice et l'excellence) pour en démontrer la portée et la pertinence, nous prouverons ensuite – si Dieu nous le permet – comment en chaque époque ce sont les douze Imâms des Ahl al-Bayt qui se sont caractérisés ainsi.

 

1) Qui sont les Ûlil-âmr ? Quel est le sens réel de cette appellation ?

Premièrement, revenons sur l'expression dont nous discutons depuis le départ et précisons-en le sens au regard du Coran et de la langue arabe. Allah l'Exalté dit « atî'û-Llâh wa-atî'û l-rasûl wa ûlil-âmri minkum » (4/59), « et obéissez au Messager et aux Détenteurs de l'Ordre ». L'obéissance au Messager est solidaire de l'obéissance aux Détenteurs de l'Ordre. Il faut donc que cet « Ordre » (âmr) qu'ils détiennent justifie cette solidarité dans l'obéissance, et il faut donc qu'il s'agisse de l'Ordre qui était auparavant entre les mains du Prophète. Il n'est pas exclu que ce verset, lorsrqu'il parle des « détenteurs de l'ordre », en un sens plus général, inclue des personnes faillibles. Ainsi, à titre d'exemple, si un Prophète ou un Imâm désigne un commandant lors d'une opération militaire, l'obéissance lui reviendra. Mais celle-ci ne lui reviendra qu'en tant qu'elle lui a été conférée par le véritable Maître de l'Ordre (walî al-amr) qui est le Prophète ou l'Imam, comme nous aurons à le démontrer.

 

a) Examen linguistique de cette expression

« وأولى » : Les Détenteurs, Ceux qui sont le plus en droit de

Attardons nous d'abord sur la première partie de l'expression « وأولى », « wa-Ûli ». Le premier wâw signifie simplement « et », puis le radical «أولو » à l'accusatif « Ûli » qui est le pluriel de « ذو » (dhû) signifie « le détenteur de ». Un certain nombre de noms et d'expressions sont basées sur cette construction dans le Coran, par exemple « Dhû-l-Qarnayn » signifie littéralement « Celui aux deux Cornes (ou « le Bicornu », comme cela fut parfois ingénieusement traduit) » ou selon l'autre sens du mot qarn « Celui aux deux Siècles », sans que ces interprétations ne s'excluent nécessairement. 

Dans l'adage « الأولى في الأول من » (« premier entré, premier sorti »), le radical «أولو » prend le sens de la primauté et de la primordialité, qui est aussi le sens d'un autre radical remarquablement proche « أُولِى » être plus digne que, être plus proche que, être le meilleur pour revendiquer une relation, soit toujours à la notion de primauté, d'être le premier et le plus en droit.

Comme nous l'avons vu «أولو » est le pluriel de «ذو », si nous devions donc transcrire notre expression au singulier nous aurions sûrement à noter  «ذو الأمر » (dhû-l-âmr), Celui qui a l'Ordre, ou Celui qui est plus en droit de l'Ordre. Le lexicographe Abû Nasr al-Jawharî (m. 1002 ou 1008) écrit dans son al-Sihâh fî al-lughah « والأَميرُ: ذو الأَمْر » (wal-âmîr : dhû-l-âmr), c'est-à-dire « et « al-Amîr » : C'est celui qui détient l'Ordre ». Ainsi, sans la coloration politique du terme Amîr, pour désigner le Prince ou le gouverneur dans ce monde, al-Amîr étymologiquement renvoie à celui qui détient l'Ordre. Nous pouvons d'ores et déjà faire une remarque similaire au sujet du terme « khalifah » qui prit, par les divers « califats » terrestres successifs, le sens d'un simple empereur, tandis qu'il a initialement le sens de « successeur » ou de « représentant » (le verbe khalafa ayant le sens d'une succession et d'une lieutenance). 

Une autre expression plus commune est celle de « ولي الأمر » (walî al-âmr), usant du terme « walî », proche phonétiquement, et ayant une varité de sens. Nous nous contenterons ici d'en donner la sublime définition d'Alî fils de Mohammad al-Jurjanî (m. 1413) dans son Kitâb al-Ta'rifat (le « Livre des Définitions », trad. Maurice Gloton, Téhéran, 1994) : « الولي Al-Walî : Le saint, le rapproché [de Dieu] 1. Ce terme comme tous les mots consruits sur le schème fa'il a un double sens : actif et passif. Dans le premier cas, il s'agit de celui dont l'obéissance (tâ'ah) ne peut plus être suivie de désobéissance ('isyân) Le second cas concerne celui sur lequel affluent en permanence l'excellence (ihsân) de Dieu et Son surcroît de faveur (ifdâl). 2. Ce terme désigne le connaissant ou gnostique ('ârif) par Dieu et par Ses Attributs, dans la mesure où il persévère dans l'obéissance, s'éloigne des désobéissances et s'oppose de toutes ses forces aux voluptés (ladhdhât) et aux concupiscences (shahawat). ». Ces deux sens s'appliquent en effet bel et bien au détenteur de l'Ordre divin, et sont comme complémentaires l'un de l'autre : c'est parce qu'Alî est le premier des serviteurs de Dieu qu'il est le plus en droit à la succession. Le lien charnel entre Mohammad, Fatimah et les Imâms n'est pas, contrairement à une idée reçue, la justification de leur éminence sur le reste de la création. C'est l'inverse qui est vrai, c'est la pureté spirituelle et l'élection qui en découlent qui justifient leur affiliation charnelle dans le monde apparent, comme signe suprême de la complémentarité entre l'apparent (zahir) et le caché (batin).


« ٱلْأَمْرِ », l'Ordre divin

Ayant précisé le sens de la première partie de l'expression, nous en venons enfin à celui du âmr à proprement parler. Toujours selon al-Jurjanî (m. 1413) dans son Kitâb al-Ta'rifat al-âmr, « الأمر al-âmr, L'ordre, le commandement : C'est la parole (ou tout autre moyen d'expression) de celui qui dit à son subalterne : "Fais !" ».  Certains lexicographes ont suggéré une parenté entre le terme arabe « أمر » (âmr) avec l'hébreux « אמר » (âmar) qui est son strict équivalent morphologique. Or, tout comme le suggère al-Jurjanî dans sa définition, ce verbe en hébreux a également le sens de « dire », c'est-à-dire le sens d'une parole, d'un ordre instaurateur. Un exemple biblique particulièrement significatif d'emploi de ce verbe se trouve dans le premier chapitre du livre de la Génèse (Sefer bereshit) : « וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, יְהִי אוֹר; וַיְהִי-אוֹר », « Dieu dit (va-yômer Elohîm) : que la Lumière soit, et la Lumière fut ! » (Gn 1/3) ; « וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, יְהִי רָקִיעַ בְּתוֹךְ הַמָּיִם, וִיהִי מַבְדִּיל, בֵּין מַיִם לָמָיִם », « Dieu dit (va-yômer Elohîm) : « Qu'un espace s'étende au milieu des eaux, et forme une barrière entre les unes et les autres. » (Gn 1/6), et nous pouvons encore noter l'emploi de ce verbe avec ce même sens d'une parole créatrice et instauratrice aux versets 11, 14, 20, 24 et 26 du même chapitre (texte hébreux avec traducton française disponible ici).

Le terme âmr se réfère donc à une parole proférée qui instaure le Réel. C'est le Logos divin qui dit à une chose « Sois ! » et elle est (kun ! fa-yakûn). Le âmr est le commandement divin, et le Détenteur du âmr  est celui qui est investi de l'autorité divine complète, celle qui permit à chaque Prophète d'accomplir des prodiges extraordinaires par Sa permission. Il est donc effectivement possible, comme nous l'avons fait tout au long de notre commentaire, de traduire âmr par « Ordre ». Mais il est également possible de le traduire comme « Cause ». D'abord dans le sens de la cause partisane des Imâms, sur eux la paix, celle à laquelle ils se réfèrent dans leurs paroles en disant « امرنا » (âmrinâ), « notre cause » ou « notre affaire » ; et ensuite dans le sens métaphysique de cause des causes (سبب الأسباب), le Verbe étant le moyen par lequel Dieu instaure toutes les choses.

En somme, si le âmr peut en un sens restreint renovyer à une autorité mondaine dans la langue, ce n'est qu'en un sens tout analogique avec le âmr divin qui en est le véritable sens et l'archétype. Si Amîr peut désigner un prince et Malik un roi au sens ordinaire de ces termes, ce n'est que par analogie avec celui qui est le véritable Amîr, c'est-à-dire le véritable Commandeur ou le véritable Instaurateur de toutes choses ; et à Celui qui non-content d'être le Souverain (al-malik) par excellence est aussi le Souverain de la Souveraineté (malik al-mulk) : le Réel, Allâh. Le Détenteur de l'Ordre, c'est donc le tenant du Réel, celui qui est la source de toute gnose du Verbe, l'Imâm.

 

b) Examen coranique du âmr : le cas de la sourate al-Qadr dans le chiisme ancien

Allah, l'Exalté, dit :

 تَنَزَّلُ ٱلْمَلَـٰٓئِكَةُ وَٱلرُّوحُ فِيهَا بِإِذْنِ رَبِّهِم مِّن كُلِّ أَمْرٍ
« Durant celle-ci descendent les Anges ainsi que l'Esprit , par permission de leur Seigneur pour tout ordre. » al-Qadr, 4

Durant la Nuit de Qadr, dont la valeur est meilleure que mille mois, Dieu fait descendre les Anges (al-malâ'ikah), l'Esprit (al-Rûh) par la Permission de Dieu pour tout ordre (min kolli âmr). On traduit parfois Laylat ul-Qadr  par « la Nuit du Destin » ou encore « la Nuit de la Puissance ». Ces deux traductions  sont en soi justifiées par le sens du mot Qadr, qui réfère à la fois à la Puissance divine de Dieu l'Omnipotent (al-Qadir ou al-Muqtadir) et à la destinée au sens plus trivial du cours des évènements de l'année à venir qui doivent être reçus lors de cette nuit par le Compagnon de l'Ordre (sâhib al-âmr).

 

Nous citerons à titre de preuve ces deux traditions attribuées à l'Imâm al-Jawâd – paix et salut sur lui – traduites par Mohammad-Ali Amir Moezzi dans Alî le secret bien gardé, chapitre 6 « La Nuit du Qadr dans le shi'isme ancien », qui explicitent clairement cette conception. 

Premier hadîth : « Ibn al-Harîsh rapporte de l'Imam Muhammad al-Jawâd Abû Ja'far [le Second] : Ô peuple shi'ite [yâ ma'shar al-shî'a] ! Affrontez vos adversaires avec la sourate al-Qadr et vous les désarmerez. Par Dieu, cette sourate est la Preuve la plus solide offerte par Dieu aux hommes après le temps de l'Envoyé. Elle constitue la meilleure part de votre doctrine et elle concerne la portée de notre science. Ô peuple shi'îte ! Affrontez vos adversaires avec ces versets « Hâ Mîm ! Par l'Écrit éclairant, Nous l'avons fait descendre pendant une nuit bénie, nous sommes en effet des avertiseurs » al-Dukkhan, 1-3 ; car ils concernent exclusivement les Maîtres de l'Ordre après l'Envoyé de Dieu. Ô peuple shi'îte ! Dieu n'a-t-il pas déclaré : « Il n'y a pas une seule communauté où il n'y ait point eu d'avertisseurs » Fâtir, 24

Quelqu'un lui a alors rétorqué
« Mais, Abû Ja'far, le prophète Mohammad fut l'avertisseur de notre communauté. » L'imam répondit : « Tu dis vrai, mais est-ce que pendant sa vie, l'Envoyé n'a-t-il pas missioné d'autres avertisseurs dans les différentes régions de la Terre ? Il y a donc eu des avertisseurs missionnés par Mohammad comme lui-même était un avertisseur missioné par Dieu.»Certes tu as raison.Alors Mohammad doit également avoir des avertisseurs après sa mort et si tu nies cela c'est comme si tu condamnais les générations à venir de cette communauté à l'égarement.Mais le Coran ne leur suffit-il point ? Si, à condition que quelqu'un l'interprète [mufassir].L'Envoyé de Dieu n'en a pas fait l'interprétation ?Si, mais il a initié une seule personne à cette interprétation et il exposa le rang de cette personne à sa communauté, et cette personne est Alî fils d'Abî Tâlib.Ô Abû Ja'far, cette question est réservée à l'élite et la masse ne peut la supporter, Dieu veut être adoré dans le secret jusqu'à ce que Sa religion se manifeste au grand jour... » (al-Kulaynî, Ûsul al-Kâfî, vol. I, Chapitre de l'interprétation de sourate al-Qadr).

–  Deuxième hadîth  : « Toujours selon l'imam Muhammad al-Jawâd : « Dieu a dit au sujet de la Nuit du Qadr « Pendant cette nuit se distingue tout ordre sage » (44/4). En effet, pendant la Nuit de Qadr descend vers le Détenteur de l'Ordre [walî al-âmr] l'explication détaillée des choses qui auront lieu pendant l'année ainsi que l'Ordre qu'il doit exécuter concernant sa propre personne et les autres dans tel ou tel cas. ». Moezzi note : « Dans la dernière phrase, il y a manifestement un jeu de mot avec les termes issus de la racine 'MR et autour du mot âmr (l'Ordre) qui est une des notions centrales de toute la doctrine : ...la yanzilu fî laylat al-qadr ilâ walî al-âmr tafsîr al-umûr sanatan sanatan yu'maru fihâ fî âmr nafsih bi-kadhâ wa kadhâ wa fî âmr al-nâs bi-kadhâ wa kadhâ... ».

 

Comme on le voit nettement dans ces textes, la notion de âmr dans le shi'isme ancien est loin de pouvoir être cantonnée à une autorité terrestre. Bien au contraire, elle conserve son sens biblique de Verbe divin instaurateur et informateur descendant avec l'Esprit Saint et les Anges sur celui qui doit en être le tenant dans chaque époque, de manière voilée ou déclarée. Les 'Ûlil-âmr sont donc ceux qui reçoivent cet Ordre divin après le Messager. Reste à évaluer les critères que l'Imâm al-Sâdiq nous propose pour les reconnaître : « [Reconnaissez] les Détenteurs de l'Ordre ('Ûlil-âmr) par le convenable (al-ma'ruf), la justice (al-'adl) et l'excellence (al-ihsân) ».

 

2) Le convenable (al-ma'rûf), la justice (al-'adl), l'excellence (al-ihsân) : des critères par lesquels distinguer l'imposteur du véridique parmi ceux qui prétendent détendre l'ordre divin

Comme nous l'avons établi, même si nous admettions l'interprétation des gens de l'apparent selon laquelle les 'Ulil-âmr sont le « savant » et le « gouverneur » (en un mot : l'Imâm), encore faut-il établir sur quels critères distinguer l'Imâm légitime de l'Imâm illégitime. Nous avons vu que la légitimité du pouvoir selon la théologie politique d'Ibn Taymiyyah et d'al-Ghazâlî tirait sa source de la suprématie de fait du gouverneur sur ses sujets. Une telle conception est trop évidement une conception émanant du pouvoir musulman lui-même pour se justifier pour qu'il soit davantage nécessaire d'y insister, se référer à la section II du présent article pour notre argumentation dans de plus amples détails.
 
Il nous incombera donc dans cette dernière partie d'étudier les trois critères établis par l'Imâm al-Sâdiq sur lui la paix dans le hadîth qui est le sujet de notre commentaire : à savoir le convenable (al-ma'rûf), la justice (al-'adl) et l'excellence (al-ihsân). Dans un premier temps nous procéderons à un bref examen linguistique de ces trois notions. Nous tâcherons de montrer la pertinence de ces critères, qui bien qu'ils puissent en apparence paraître subjectifs doivent en fait demeurer les seuls critères pour distinguer le véridique de l'imposteur parmi ceux qui prétendent détendre l'ordre divin. C'est que ces qualités se rendent naturellement manifestes dans celui qui est le tenant de cet Ordre. Puis, nous établirons une chronologie partant de l'Imâm Alî que Dieu enoblisse sa face jusqu'à l'Imâm al-Mahdî que Dieu hâte son soulagement, pour montrer qu'en chaque époque ce furent les douze Imâms – que la paix soit sur eux – qui se distinguèrent nettement par ces qualités.
 
 
a) Examen et justification des trois critères exposés par l'Imâm al-Sâdiq : al-ma'rûf, al-'adl, al-ihsân

« المعروف », le Convenable, le Connu

Dérivé de la racine du verbe « connaître » 'arafa (ع ر ف), ce terme a parfois été traduit comme le « réputé convenable », il renvoie en tout cas à ce qui est reconnu de tous comme faisant partie des convenances soit dans une société humaine donnée, soit plus généralement comme ayant attrait la nature innée (fitra) de l'être humain. Il serait également possible de le traduire par « raisonnable », c'est-à-dire ne relevant ni du zèle extrême et ostentatoire, ni d'un relâchement complet des valeurs. Reconnaître l'Imâm légitime par le ma'rûf, cela implique à notre sens que l'Imâm ne doit en aucun cas s'écarter des prescriptions du Coran et de la tradition du Noble Prophète – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui –, qui définit au point de vue de la législation (shari'ah) ce qui relève du convenable et ce qui relève du blâmable.

كُنتُمْ خَيْرَ أُمَّةٍ أُخْرِجَتْ لِلنَّاسِ تَأْمُرُونَ بِٱلْمَعْرُوفِ وَتَنْهَوْنَ عَنِ ٱلْمُنكَرِ وَتُؤْمِنُونَ بِٱللَّهِ ۗ
« Vous êtes la meilleure communauté (kuntu khayra ummatin), qu'on ait fait surgir pour les hommes. Vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable et croyez en Dieu. » ale 'Imrân, 110
 
Ce verset, qui sert de base à la notion de « âmr bi l-ma'rûf wa nahî al-munkar » (l'ordonnance du convenable et l'interdiction du blâmable) en Islâm nous intéressera ici particulièrement. En effet, l'ordonnance dont il est question ici (al-âmr) réfère au même Ordre dont nous parlions avant, et ce qui est signifié ici par al-ma'rûf, c'est le réputé convenable auprès de Dieu et de Son Prophète. En outre, Al-'Ayyashî (m. 320/932) rapporte une autre lecture de ce verset dans son Tafsîr (1:129/195) de Ja'far al-Sâdiq, que la paix soit sur lui :

« Ces paroles furent été révélé au sujet de Mohammad -- que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens , ainsi, Il l'Exalté a dit : « Vous êtes les meilleurs Imâms (kuntu khayra a'ima) qu'on ait fait surgir pour les hommes. Vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable et croyez en Dieu » (III/110) C'est ainsi, par Allah, que Gabriel l'a apporté et cela ne concerne personne sauf Mohammad et ses successeurs, que la paix soit sur eux tous. » 

Quand bien même on contesterait l'authenticité de ce récit, il semble bel et bien que la « communauté » (ûmmah) au sens de la communauté historique des musulmans, ne soit concernée que dans un sens relatif par ce verset. Est-elle réellement la meilleure des communautés en terme d'actions ? Le simple fait d'être musulman excuse-t-il l'injustice ? Nous affirmons qu'il n'en est rien et que la communauté musulmane fut celle qui opprima les Imâms que leur avait pourtant ordonné de suivre le Prophète.

Nous citerons néanmoins un autre argument pour justifier cette interprétation, Dieu, Exalté soit-Il, dit « Abraham était un Guide (inna Ibrahîma kâna ûmmah) » al-Nahl, 120 ; et Il dit encore « Je vais faire de toi un exemple à suivre pour les gens (innî ja'iluka lin-nâsi imâm) » al-Baqarah, 124. Comme on peut le voir très nettement, Dieu se réfère à Abraham alternativement comme « ûmmah », et comme « Imâm » avec toujours le même sens de guide. Les deux mots sont d'ailleurs fondés sur une même racine en arabe (ء م م). C'est donc que la communauté ne saurait se penser sans un guide, qu'elle n'a de sens qu'en relation avec un Imâm qui est le véritable Amîr bi l-ma'rûf. C'est également la racine sur laquelle est fondée le mot Umm, qui signifie d'abord « Mère », mais a aussi le sens d'une « Origine », voire d'un « Archétype ». Or, si l'Imâm dans la langue arabe est celui qui précède, qui se tient en avant : il en va de même pour le sens du mot mère, en tant qu'elle est celle dans la matrice de laquelle se trouve la potentialité de l'existence d'un nouvel être humain.

Ce critère nous paraît donc entièrement justifié. Dieu, dans le verset 59 de sourate al-Nisâ dit, après avoir exhorté les croyants à obéir à Dieu et à obéir au Messager et aux Détenteurs de l'Ordre : « Si vous divergez ensuite en quelque chose : renvoyez-la à Dieu et à Son Messager, si vous croyez en Dieu et au Jour Dernier, cela est meilleur et de meilleure compréhension. ». Il faut donc que le critère du « convenable » soit la conformité avec l'aspect exotérique de la religion délimité par la Prophétie législatrice de Mohammad, que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens. Et ce furent, comme nous aurons à le prouver, les douze Imâms, sur eux la paix, qui s'exemplifièrent le plus par cela parmi tous les prétendants à l'autorité divine. La reconnaissance des 'Ulil-âmr étant donc solidaire de la reconnaissance du Messager à travers Dieu, et de la reconnaissance de Dieu à travers Lui-même.

 

« العدل », la Justice, la dérivation, l'équivalence, le juste

Pour définir ce terme, nous aurons de nouveau recours au Kitâb al-Ta'rifat d'Alî fils de Mohammad al-Jurjanî (m. 1413), qui écrit : « العدل , al-'adl,  La justice, la dérivation, l'équivalence, le juste. 1- C'est le comportement équilibré (mutawassit) entre l'exagération par excès (ifrât) et par défaut (tafrît). 2- Chez les philologues (nahwiyûn), c'est faire passer un mot de sa forme primitive ou d'origine (sîgha asliyya) à une autre (qui ne l'est pas). 3- Chez les juristes (fuqahâ'), c'est la personne qui se détourne des péchés majeurs (kabâ'ir), ne commet pas de fautes vénielles (saghâ'ir), dont la droiture (sawâb) l'emporte, et qui n'accomplit pas d'actes vils (af'âl hasîsa), comme le fait de manger en marchant sur la route ou d'y faire ses besoins. On dit que ce mot est un nom verbal avec le sens de 'adâla, c'est-à-dire l'équité (isti'dal) et la rectitude (istiqâma) . C'est l'inclination (mayl) vers le Réel. »

Notre lexicographe mentionne donc trois définitions pour ce terme. La première est une définition éthique de l'équité, considérée comme un juste milieu entre deux attitudes extrêmes de zèle et de relâchement. C'est donc dans l'équilibre entre plusieurs tendances de l'être humain que se trouve la justice. Une deuxième définition d'ordre philologique, qui correspond à la dérivation d'un terme de sa forme radicale en l'adoptant morphologiquement ou phonétiquement au contexte ; en d'autres termes le contexte est la mesure selon laquelle le mot devra s'adapter pour être "justifié" dans ce contexte. Une troisième définition juridique qui désigne celui qui est 'adil, juste, c'est-à-dire réunissant les conditions canoniques pour pouvoir officier en tant qu'Imâm.

Ici encore, ce critère nous paraît pleinement justifié : Peut-il en effet se concevoir que Dieu confère Son Ordre à un homme qui ne sache point équilibrer les tendances contraires de son âme pour y faire jaillir l'équité ? Qui ne puisse, telle la forme primitive d'un mot que l'on dérive grammaticalement, s'adapter à son contexte et à son environnement, s'adressant à chacun selon sa compréhension et étant à l'écoute de tous les problèmes des croyants et des croyantes, quels qu'ils soient ? Peut-il encore se concevoir que Dieu appelle à l'obéissance de celui qui commet des actes dépravés, des péchés majeurs et véniels, qui n'inspire pas la droiture, et qui accomplit des actes vils ? Peut-on enfin concevoir qu'Il confère Son ordre à celui qui n'est point ni équitable ni droit, t qui n'est pas incliné vers le Réel ? Rien de tout cela n'est acceptable.
 
وَقَالَ لَهُمْ نَبِيُّهُمْ إِنَّ اللَّهَ قَدْ بَعَثَ لَكُمْ طَالُوتَ مَلِكًا قَالُوا أَنَّى يَكُونُ لَهُ الْمُلْكُ عَلَيْنَا وَنَحْنُ أَحَقُّ بِالْمُلْكِ مِنْهُ وَلَمْ يُؤْتَ سَعَةً مِّنَ الْمَالِ قَالَ إِنَّ اللَّهَ اصْطَفَاهُ عَلَيْكُمْ وَزَادَهُ بَسْطَةً فِي الْعِلْمِ وَالْجِسْمِ وَاللَّهُ يُؤْتِي مُلْكَهُ مَن يَشَاءُ وَاللَّهُ وَاسِعٌ عَلِيمٌ
« Et leur prophète leur dit: «Voici qu'Allah vous a envoyé Tâlût pour roi.» Ils dirent: «Comment règnerait-il sur nous? Nous avons plus de droit que lui à la royauté. On ne lui a même pas prodigué beaucoup de richesses!» Il dit: «Allah, vraiment l'a élu sur vous, et a accru sa part quant au savoir et à la condition physique.» - Et Allah alloue Son pouvoir à qui Il veut. Allah a la grâce immense et Il est Omniscient. » al-Baqarah, 247

 

« الإحسان », l'Excellence

Al-Jurjanî (m. 1413) dit au sujet de ce terme, toujours dans son Kitâb al-Ta'rifat : « الإحسان,  al-ihsân, Le comportement parfait, la conformité adorative, l'excellence, la perfection, l'embelissement. 1- C'est la réalisation (tahaqquq) de la servitude adorative ('ubûdiyya) dans la contemplation (mushâhada) de la Présence seigneuriale (hadra rubûbiyyah), par la Lumière (nûr) de la vue intérieure ou intuitive (basîra), c'est-à-dire de la vision directe (ru'ya) qu'a le serviteur de Dieu, revêtu de Ses Attributs (sifât) au travers de ces mêmes Attributs. C'est alors que le serviteur de Dieu le voit en toute certitude (yaqîn) sans toutefois Le voir véritablement (haqîqa). Le Prophète - sur lui la Grâce et la Paix de Dieu - a dit de cette disposition : "Le comportement parfait (al-ihsân) est que tu adores Dieu comme si tu Le voyais, car si tu ne Le vois pas, Lui te voit". En effet, le serviteur voit Dieu derrière les voiles (hujub) de Ses Attributs sans voir la Réalité essentielle (haqîqa) par Celle-ci, car c'est Dieu - exalté soit-Il - qui induit (dâ'i) les Attributs (wasf) par lesquels Il est qualifié. L'ihsân ou comportement parfait se situe au-dessous de la station de la contemplation (maqâm al-mushahada) dans celle de l'Esprit (maqâm al-Rûh). 2- Dans la langue usuelle, l'ihsân est faire le bien (khayr) qu'il convient d'accomplir. (...) »

L'ihsân, nous dit al-Jurjanî, c'est en premier lieu « la réalisation (tahaqquq) de la servitude adorative ('ubûdiyya) dans la contemplation (mushâhada) de la Présence seigneuriale (hadra rubûbiyyah) par la Lumière (nûr) de la vue intérieure ou intuitive (basîra), c'est-à-dire de la vision directe (ru'ya) qu'a le serviteur de Dieu, revêtu de Ses Attributs (sifât) au travers de ces mêmes Attributs. », c'est-à-dire que le serviteur croyant témoigne de la Présence de Son Seigneur en toute chose, Il réalise que toute chose est entre Ses mains, son adoration comprise. Il réalise que les Noms par lesquels Dieu se qualifie sont également ce par quoi Il se voile. 

Mais en réalisant intiatiquement le sens positif de ces Noms, c'est-à-dire en faisant siennes les qualités divines telles que la Miséricorde, la Lumière, la Bonté, la Science, il atteint à leur compréhension réelle. Il y a donc une stricte correspondance entre le muhsîn, celui qui peut être qualifié par l'ihsân, et la volonté de Dieu. Celui qui désire contempler l'ensemble des qualités divines, dans leur signification positive, doit regarder celui qui s'est purifié jusqu'à atteindre le degré de l'excellence. Ainsi, la vision (basîra) dont il est question est avant tout une vision intérieure, directe, que le serviteur a de Lui-même. Comme le dit le grand mystique chrétien rhénan Maître Eckhart (m. 1328) « Le regard par lequel je Le connais est le regard même par lequel Il me connaît. ». Puis il cite à cet usage un célèbre hadîth prophétique définissant l'ihsân comme le fait d'adorer Dieu comme si on le voyait, car si nous ne le voyons pas Lui nous voit. Al-Jurjanî donne ensuite une définition plus commune de ce terme « Dans la langue usuelle, l'ihsân est faire le bien (khayr) qu'il convient d'accomplir », qui présente l'ihsân comme l'impératif moral d'accomplir ce qui doit être fait, de dire ce qui doit être dit, soit en un autre sens à ce que nos actions soient en conformité avec la volonté divine.

Encore une fois, il nous paraît que ce critère est complètement justifié. Si une personne prétend détenir l'Ordre divin, il est nécessaire qu'elle se caractérise par cette excellence spirituelle. Mais il est également nécessaire qu'elle soit véritablement la "Preuve de Dieu sur Sa création" (hujjatu-Llâhi 'alâ khalqih), c'est-à-dire qu'à partir de sa propre connaissance et de sa propre vision intérieure elle expose clairement le Réel aux serviteurs de Dieu. Or, s'il y a bien une chose dont nous sommes certains, et que nous nous attacherons à montrer dans ce qui suit, c'est que les Imâms d'Ahl al-Bayt, que la paix soit sur eux, non-seulement furent ceux qui se caractérisèrent le plus par leur excellence spirituelle, mais ils furent à l'origine même de toute spiritualité authentique en Islâm.

 

b) Comment les douze Imâms furent chacun en leur époque ceux qui se caractérisèrent par ces trois critères

Nous avons défini le convenable (al-ma'rûf) comme l'ensemble de ce qui est prescrit et connu en terme d'usage par le respect des commandements de la révélation et de la tradition prophétique. La justice (al-'adl) quant à elle correspond en un sens à une attitude éthique équilibrée entre les tendances contraires et négatives de l'être humain ; en un autre sens à la capacité d'adaptation, d'écoute, de considération pour le contexte de chacun ; et enfin en un autre sens, juridique, l'état de celui qui s'abstient des péchés graves et mineurs et dont la droiture l'emporte. Enfin, quant à l'excellence (al-ihsân) nous l'avons défini comme l'état de celui qui a atteint la perfection dans la certitude, dont l'humilité totale et la servitude parfaite sont le secret de sa réalisation spirituelle complète.

Pour démontrer la conformité des douze Imâms au premier critère, celui du ma'rûf : nous citerons depuis la révélation ainsi que depuis la tradition prophétique authentifiée selon les critères de l'Islâm majoritaire des éléments attestant de la parfaite justification extérieure de leur Imâmat. Pour démontrer leur conformité au second critère, celui du 'adl, nous mentionnerons des détails biographiques des différents Imâms au sujet de leur extraordinaire patience, droiture et compréhension. Enfin, pour prouver le dernière critère, celui de l'excellence (al-ihsân) nous montrerons comme celle-ci peut être universellement reconnue, et comment les douze Imâms d'Ahl al-Bayt, sur eux la paix, furent toujours à la source de la spiritualité islamique.

 

– En ce qui concerne les douze Imâms, sur eux la paix, dans leur totalité :

La première des preuves est le hadîth des douze successeurs, tel que rapporté dans les sources authentiques du sunnisme. Nous en citerons ici les quelques versions rapportées par Muslim dans son Sahîh au "Livre du Gouvernement" (Kitâb al-Imârat), avant de les analyser : "إِنَّ هَذَا الأَمْرَ لاَ يَنْقَضِي حَتَّى يَمْضِيَ فِيهِمُ اثْنَا عَشَرَ خَلِيفَةً ‏" (Sahîh Muslim, n°1812a), "لاَ يَزَالُ أَمْرُ النَّاسِ مَاضِيًا مَا وَلِيَهُمُ اثْنَا عَشَرَ رَجُلاً ‏" (n°1812b-c), "لاَ يَزَالُ الإِسْلاَمُ عَزِيزًا إِلَى اثْنَىْ عَشَرَ خَلِيفَةً" (n°1812-d), "لاَ يَزَالُ هَذَا الأَمْرُ عَزِيزًا إِلَى اثْنَىْ عَشَرَ خَلِيفَةً ‏" (n°1812e), "لاَ يَزَالُ هَذَا الدِّينُ عَزِيزًا مَنِيعًا إِلَى اثْنَىْ عَشَرَ خَلِيفَةً ‏" (n°1812f), "لاَ يَزَالُ الدِّينُ قَائِمًا حَتَّى تَقُومَ السَّاعَةُ أَوْ يَكُونَ عَلَيْكُمُ اثْنَا عَشَرَ خَلِيفَةً كُلُّهُمْ مِنْ قُرَيْشٍ ‏" (ibid, n°1822a).

 Pour résumer le contenu de ce hadîth en tenant compte des quelques variantes, le Prophète dit que cet Ordre (hadhâ-l-âmr), ou l'Islâm (al-Islâm), ou la Religion (al-Dîn) se maintiendra, ou ne sera pas abaissé, tant que à travers douze personnes. Ces douze personnes sont tantôt qualifiées de khalifah (1812a, d e, f, g), tantôt de rajulân (n°1812 b, c), c'est-à-dire de successeurs (sur la base du sens étymologique de khalafa qui signifie la succession, la lieutenance, le remplacement) et d'hommes. Dans une autre version rapportée cette fois-ci par Tirmidhî dans ses Sunan, on peut lire "يَكُونُ مِنْ بَعْدِي اثْنَا عَشَرَ أَمِيرًا ‏", c'est-à-dire « Viendront après moi douze Amîrs ».

Aucune des interprétations sunnites de ce hadîth n'est pleinement satisfaisante. S'ils sont des successeurs (khalifah) au Prophète, qu'ils viennent après lui et que par eux l'Ordre divin se maintient : il faut nécessairement d'une part que les douze se succèdent les uns après les autres suite au Prophète, et d'autre part que le maintien de l'Ordre divin (al-âmr) soit solidaire de leur présence parmi les croyants.

Ainsi, ni les interprétations désignant les quatre premiers califes dits rashidûn en y ajoutant quelques califes considérés comme justes, comme 'Umar II fils d'Abd al-'Azîz, et sélectionnés subjectivement ; ni les interprétations désignant les douze premiers califes historiques ne tiennent. Les interprétations retenant les quatre premiers califes, incluant éventuellement le Mahdî et quelques autres califes sélectionnés pour leur justice ne tiennent pas, puisque ces califes ne se sont pas succédés de manière stable depuis le Prophète, mais au travers, on l'a vu, de luttes incessantes de pouvoir.

Quant à celle qui établit la liste des douze en se basant sur celle des douze premiers califes historiques : elle inclut parmi ceux qui revivifièrent l'Ordre divin Mu'awiyâ, Yazid et d'autres califes Omeyyades qui tolérèrent et instaurèrent la pratique de la malédiction d'Alî sur les manabir, jusqu'à ce que cette pratique soit abolie par le 12ème souverain omeyyade (et donc 16ème calife historique), soit bien après le douzième. De plus, rien ne justifie cette interprétation si ce n'est l'opiniâtreté des sunnites à défendre le pouvoir califal officiel au lieu de se tourner vers les douze Imâms d'Ahl al-Bayt, que la paix soit sur eux, qui sont les seuls véritables Amîrs à qui l'obéissance est inconditionnée.

La dernière version que nous avons cité, rapportée par al-Tirmidhî : « Viendront après moi douze Amîrs » peut être rapprochée d'une prophétie biblique à l'égard d'Ismaël. Dieu dit en effet dans le Livre de la Génèse, au chapitre XVII, verset 20 « A l'égard d'Ismaël, je t'ai exaucé. Voici, je le bénirai, je le rendrai fécond, et je le multiplierai à l'infini; il engendrera douze princes ( שְׁנֵים-עָשָׂר נְשִׂיאִם יוֹלִידשְׁנֵים-עָשָׂר נְשִׂיאִם יוֹלִיד), et je ferai de lui une grande nation. ». Si l'on interprète, comme nombre de musulmans, la prophétie d'une « grande nation » (goy gadol) comme se référant à l'apparition de l'Islâm : alors il est fort probable que les « douze princes »  dont il est question ici renvoient prophétiquement à la manifestation des douze Imâms succédant au Noble Prophète. Nous ferons par ailleurs remarquer que le terme goy en hébreux qui signifie dans le langage ordinaire du judaïsme rabbinique le « non-juif », ce qu'était effectivement Ismaël, a d'abord la signification de « nation », tout comme le terme « ûmmah » en Arabe, dont nous mentionnions plus haut le caractère inséparable d'avec la notion d'Imâm dans le Coran. C'est aussi pour cela que nous comprenons l'expression « Nabî al-Ummî », à notre sens fallacieusement traduite par « le Prophète illétré », et qui devrait plutôt être traduite de manière plus adéquate « le Prophète non-juif » ou « le Prophète des nations, de ceux qui n'avaient auparavant pas reçu d'Écriture  ». Autrement dit, il fut le Promis d'Ismaël qui fut l'instigateur d'une réforme universalisatrice du monothéisme, et les douze fils d'Ismaël renvoient prophétiquement aux douze Imâms du shi'isme. 

En somme, les douze Imâms sont désignés prophétiquement par le Messager de Dieu comme douze de ses successeurs par lesquels l'Ordre divin (al-âmr) sera maintenu. Ils sont également prophétisés dans la Génèse, comme douze princes issus de la lignée d'Ismaël, sur lui la paix. Cela étant établi, nous établirons une chronologie de chacun des douze Imâms en évoquant certains faits par lesquels ils se distinguèrent chacun à leur époque comme les plus véridiques :

 

– Le Ier Imâm Alî fils d'Abî Tâlib, le Commandeur des Croyants (Amîr al-Mu'minîn), que la paix soit sur eux (600-661) :

Il fut celui au sujet duquel le Prophète – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens – dit « De quiconque je suis le mawlâ, cet Alî en est le mawlâ » comme cela est rapporté de manière notoire dans les sources sunnites et shi'îtes ; Le Prophète – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens – lui dit également « ô Alî, n'es-tu pas satisfait d'être auprès de moi dans la position qu'occupait Aaron par rapport à Moïse, sauf qu'il n'y a point de Prophète après moi ? » ; Il – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et le siens – dit également dans un hadîth dont le caractère notoire parmi les Amis de Dieu passe toute authentification « Je suis la Cité du Savoir, et Alî en est la Porte : Celui qui veut le savoir, qu'il passe par la Porte ! ». Il fut également le plus brave des guerriers du Saint Prophète Mohammad – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens – et ses exploits militaires sont comptés comme autant de faits d'héroïsme n'impactant jamais son sens de la justice et de l'équité. Si bien que l'on attribue communément cette maxime au prophète « Point de héros comme Alî, point d'épée comme Dhul-Faqar (lâ fatâ illâ 'Alî la sayfa illa dhul-faqar) ». Il fut le brillant orateur et poète des sermons de Nahl al-Balaghâ, dont tout amateur de langue arabe possède un exemplaire. Il est la source de toutes les chaînes de transmission initiatique des confréries soufies, à l'exception de l'une des chaînes de Naqshbandis qui remonte à Abû Bakr. Mais même cette chaîne remonte à Abû Bakr à travers Salmân qui fut, on le sait, le plus fidèle des disciples d'Alî. Et elle remonte à Salmân à travers Qasim fils de Mohammad fils d'Abî Bakr, lui-même fils de Mohammad fils d'Abî Bakr qui fut l'un des shi'îtes reconnus de l'Imâm Alî – que la paix soit sur lui – malgré l'aversion de son propre père à cela. Et il est également le père d'Umm Farwah, qui est la mère de l'Imâm al-Sâdiq – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens. C'est d'ailleurs à travers ce dernier Imâm que se poursuit cette chaîne. Il est donc indiscutable, et indiscuté, que l'Imâm Alî – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui – fut la source de toute spiritualité authentique en Islâm, et les paroles du Prophète – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens – que nous en avons cité juste avant en sont sans doute la meilleure preuve. Il fut assassiné par Abd al-Rahmân fils de Muljam, un kharijî, à Kûfâ, qui le frappa d'une épée empoisonnée alors qu'il était en prière durant la Nuit de Qadr, pendant le mois de Ramadan.


– Le IIème Imâm Hasân fils d'Alî, l'Élu, al-Mujtabâ (625-670) et le IIIème Imâm Husayn fils d'Alî, le Seigneur des Martyrs, Sayyid al-Shuhadâ', que la paix soit sur eux tous (626-680) :

L'Imâm al-Hasân et l'Imâm al-Husayn que la paix soit sur eux – furent désignés par le Noble Prophète Mohammad – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui – comme « les Seigneurs de la Jeunesse du Paradis », tandis qu'il est connu que toute personne sera ressuscitée jeune au Paradis. Ils furent également, avec l'Imâm Alî et Fâtimah al-Zahrâ' – que leur grâce et leur paix soient sur nous – parmi ceux qui furent invités sous le manteau du Noble Prophète Mohammad – que la paix et les prières de Dieu soient sur lui et les siens –, lors de la révélation du verset 33 de la sourate al-Ahzâb. En outre, au point de vue historique, Hasân fit preuve d'une patience en renonçant au califat, et il est l'un des Imâms les plus opprimés et les plus ignorés jusqu'à ce jour du fait même de cette patience et de cette détermination à accomplir l'Ordre divin. Puis, lors de la mort de Mu'awiyâ, et au vu du non-respect du traité promettant de mettre al-Hasân ou à défaut al-Husayn au pouvoir après son départ, étant donné que ce fut Yazid fils de Mu'awiyâ qui prit le pouvoir : la contestation d'al-Husayn se fit entendre. Mais là encore, les musulmans le délaissèrent, et ils continuent à le délaisser aujourd'hui et à oublier son sacrifice, tandis que son cri résonne pour toujours comme un appel à sauver la religion de son grand-père et à ne pas la laisser entre les mains d'imposteurs. Hasân fut empoisonné par sa femme à Médine, sous les ordres du calife Mu'awiyâ. Quant à al-Husayn, son destin héroïque est bien connu.

 

– Le IVème Imâm Alî fils de Husayn, l'Ornement de la Religion et des Adorateurs, Zayn ud-Dîn wal-'Abidîn, que la paix soit sur eux (658-712) :

Survivant de la tragédie de Karbalâ à laquelle il ne put, à son grand regret, pas participer : il passa le reste de sa vie dans la tristesse et l'ascétisme à Médine. Il se démarqua par son immense piété et par la beauté des mots par lesquels il s'adressait à Dieu. Le meilleur témoignage de ce fait est la Sahifa Sajjadiyyah, le livre d'invocations de l'Imâm al-Sajjâd – que la paix soit sur lui –, qui contient des prières tellement merveilleuses qu'il fut dit que si l'Imâm al-Sajjâd n'avait pas appris aux humains comment s'adresser convenablement à Dieu ils n'en auraient pas eu le moyen d'eux-mêmes. Il fut empoisonné sur ordre du calife al-Walid I à Médine.

 

– Le Vème Imâm Mohammad fils de Alî, le Diviseur des Savoirs, Bâqir al-'Ulûm (667-732) et le VIème Imâm Ja'far fils de Mohammad le Véridique au Pacte (Sâdiq al-Wa'd), que la paix soit sur eux (702-765) :

Ils furent ceux qui jetèrent les bases de l'ensemble des sciences islamiques, des plus extérieures comme la jurisprudence jusqu'aux plus techniques et aux plus spirituelles comme l'alchimie, la science des lettres, en passant par l'interprétation du Coran, l'éthique, l'unicité divine. Ils jetèrent les bases de ces sciences, si bien que jusqu'en Occident l'alchimie a toujours été reconnue comme disposant d'une origine « orientale », et plus particulièrement attribuée au célèbre disciple de l'Imâm Ja'far al-Sâdiq – que la paix soit sur lui – : Jabir fils de Hayyân, "Geber" de son nom latinisé. Ils furent sans aucun conteste les plus savants de leur époque, si bien qu'Abû Hanifâ, l'un des quatre Imâms du sunnisme, reconnut que sans les deux années qu'il passa auprès de Ja'far al-Sâdiq – que la paix soit sur lui –, il aurait péri et n'aurait pu connaître quoi que ce soit sur la Voie. Ces deux Imâms – sur eux la paix –, et en particulier l'Imâm al-Sâdiq – que la paix soit sur lui – ont une importance considérable dans l'Islâm en général et dans l'Islâm spirituel en particulier. L'Imâm al-Sâdiq – que la paix soit sur lui – est sans aucun doute le plus connu et le plus œcuménique des deux, mais il n'atteint ce statut que parce que l'Imâmat de son père avait préalablement préparé le terrain en posant les fondements des sciences. Le surnom de l'Imâm al-Bâqir – que la paix soit sur lui – « Bâqir al-'Ulûm » lui aurait été prophétiquement attribué par le Prophète. On lit en effet dans une tradition attribuée à Jâbir ibn ‘Abdullâh Ansârî qui rapporte l’Envoyé de Dieu qui lui a dit: « Ô Jâbir! Tu rencontreras l’un de mes descendants de la postérité d'al-Hussayn, dont le nom sera comme le mien. Il divisera les sciences pour y sonder le Réel. Lorsque tu le rencontra, salue-le de ma part ! ». Et Jâbir fils d'Abdullah al-Ansarî – que la paix soit sur lui – put en effet vivre jusqu'au temps de l'Imâm Mohammad al-Bâqir pour le saluer. Al-Bâqir fut empoisonné par Ibrahîm fils de Walid fils de Abdallah à Médine, sur ordre du calife Hishâm fils d'Abd al-Malik. Quant à al-Sâdiq, il fut empoisonné à Médine sur ordre du calife al-Mansûr.

 

– Le VIIème Imâm Mûsâ fils de Ja'far, le Prisonnier, al-Kazhîm, que la paix soit sur eux (744-799) :

Il fut emprisonné à plusieurs reprises par les califes Abbassides al-Mahdi et Harun al-Rashid, et il tomba martyr en prison en l'an 183 de l'hégire en détention. Toute sa vie fut donc patience face aux persécutions intenses qu'il subissait. Il s'agissait d'une période de grave oppression des shi'îtes, l'Imâm al-Kazhîm, que la paix soit sur lui, dû donc faire preuve de taqiyah. Il est également rapporté de lui un certain nombre de débats et de dialogues avec les savants d'autres religions, chose dans laquelle excellera son fils Alî al-Ridâ. De même que certaines lettres qu'il échangeait avec ses shi'îtes lors de ses séjours en détention dans les prisons Abbassides. Il mourut empoisonné en prison à Bagdad, sur ordre du calife Harûn al-Rashid.


– Le VIIIème Imâm Alî fils de Mûsâ, l'Agréable, al-Ridâ, que la paix soit sur eux (758-817) :

Désigné successeur en régence par le calife al-Ma'mun, et connu pour ses nombreux débats avec les autorités religieuses musulmanes et non-musulmanes, il se distingua par une extrême éloquence. Les sources à son sujet abondent, concernant ses nombreux déplacements et sur son enseignement, du fait de sa position de faveur à la cour. Al-Sadûq rapporte un grand nombre de traditions attribuées à al-Ridâ dans les deux volumes de ses 'Uyun akhbâr al-Ridâ, et qui traitent de sujets très variés sur la religion. Il prononça également le célèbre hadîth de la chaîne d'or (حدیث سلسلة الذهب). Dans ce hadîth, l'Imâm al-Ridâ rapporte de son père al-Kazhîm, de son grand-père al-Sâdiq, de son arrière-grand-père al-Bâqir, et lui de son père al-Sajjad, et lui de son père al-Husayn, qui a entendu de son père Alî qui a entendu du Saint Prophète Mohammad, que la paix et les prières de Dieu soient eux tous dire, dire :

J'ai entendu de Gabriel, et lui de Dieu l'Exalté qu'Il a dit « La Parole « Lâ ilâha illa-Llâh » est Ma forteresse, quiconque la prononce avec sincérité entre Ma forteresse ; et quiconque entre dans Ma forteresse sera à l'abri de mon châtiment ! » L'Imâm, sur lui la paix, s'arrêta alors un instant et dit « Il y a peu de conditions qui donnent droit à l'entrée à cette forteresse, et je suis l'une de ces conditions. », or si l'Imâm al-Ridâ est l'une des conditions de l'Islâm, cela signifie que l'Imâmat de tous ses prédecesseurs (dont il dit tenir ce hadîth) et successeurs légitimes est également une condition.

 

– Le IXème Imâm Mohammad fils d'Alî, le Généreux, al-Jawâd, que la paix soit sur eux (810-835) et le  Xème Imâm Alî fils de Mohammad, le Guide, al-Hadî, que la paix soit sur eux (827-868) :

L'Imâmat d'al-Jawâd et d'al-Hadî – que la paix soit sur eux – se singularisa particulièrement par leur extrême juvénilité. L'Imâm al-Jawâd accéda à l'Imâmat à huit ans, après le départ de son père l'Imâm al-Ridâ – sur eux la paix – ; puis suite au départ de l'Imâm al-Jawâd, l'Imâm al-Hadî – sur eux la paix – eut également huit ans. Ce fait déstabilisa de nombreux shi'îtes qui allèrent trouver d'autres personnes, refusant d'obéir à de simples enfants. Pourtant, malgré leur très jeune âge, ils furent très actifs dans la gestion de leur communauté et prouvèrent leur maîtrise de l'ensemble des sujets religieux et de toutes les caractéristiques nécessaires à l'Imâmat. De la même manière que Dieu dit au sujet de Jean le Baptiste « Ô Jean ! Tiens-toi fermement à l'Écriture, et Nous lui donnâmes la sagesse alors qu'il était encore un enfant. » Maryam, 12 ; Il, l'Exalté, dit encore, au sujet de Jésus fils de Marie – que la paix soit sur eux – cette fois-ci, au verset 30 de la même sourate lors du fameux épisode où Jésus s'exprima dès le berceau « Mais (l'enfant Jésus) dit: «Je suis vraiment le serviteur d'Allah. Il m'a donné le Livre et m'a désigné Prophète. »

 

– Le XIème Imâm Hasân fils d'Alî, al-'Askarî, que la paix soit sur eux (846-874) :

L'Imâm al-Hasân al-'Askarî est connu pour l'étendue de sa science dans l'ensemble des sujets religieux. On lui attribue notamment un Tafsîr des sourates al-Fatihâ et al-Baqarâ, mais également de nombreuses invocations et Ziyarât. Il passa toute sa vie à Samarra, sauf durant les quelques occasions dans lesquelles il fut emprisonné. Samarra était un avant-poste militaire, c'est pourquoi il fut surnommé al-'Askarî (d'al-'Askar, le soldat, le militaire). Sa présence dans la ville était surveillée, et il était considéré comme un potentiel danger pour l'État du fait de son charisme et de l'influence qu'il avait sur les croyants. Du fait de cette surveillance, l'Imâm n'était pas libre de rencontrer ses partisans comme il le souhaitait, c'est pourquoi il échangea prioritairement avec eux par lettres. Ces lettres ont été également en partie sauvegardées. Il épousa Dame Narjis, la princesse byzantine, selon une histoire célèbre dont le récit détaillé peut être trouvé dans le 4ème volume d'En Islam iranien du philosophe et iranologue Henry Corbin, qu'il repose en paix. Il est difficile de faire la part des choses quant à l'authenticité de cette histoire, néanmoins celle-ci reste prégnante dans la spiritualité shi'îte. En effet, la princesse Dame Narjis, que la paix de Dieu soit sur elle, nous dit la légende, descend de Simon-Pierre, Sha'mûn-Safâ, que son souvenir nous apporte la paix, le premier Successeur (Wasiy) du Christ, que la paix soit sur eux deux. Ainsi, leur union unit en quelque sorte la postérité spirituelle de Mohammad et celle de Jésus, représentées respectivement par l'Imâm Alî et Simon-Pierre, les deux ancètres respectifs de l'Imâm Askarî - sur lui la paix - et de dame Narjis - sur elle la paix - ! A l'opposée complète de l'opinion trop répandue à notre époque qui consiste à confronter une vision bien souvent faussée à la fois de Jésus, sur lui la paix, et de Mohammad, que la paix et les prières de Dieu soient sur lui, comme deux opposés ayant prêché des choses contraires. L'histoire du mariage de dame Narjis avec l'Imâm al-'Askarî, sur lui la paix, nous montre que rien n'est plus faux, et que leur postérité comme leur enseignement initial témoigne au contraire de leur profonde fraternité.

 

– Le XIIème Imâm, la Preuve fils d'al-Hasân, al-Hujjah ibn al-Hasân, que la paix soit sur eux (869 à nos jours) :

Quant au douzième Imâm, la Preuve fils d'al-Hasân, que Dieu hâte son soulagement, il entra très tôt en occultation, annonçant sa parousie prochaine. Depuis le neuvième siècle, les shi'ites duodécimains sont dans l'attente du retour de cet Imâm sous la forme d'un sauveur eschatologique, d'un Résurrecteur, supposé remettre la religion sur ses fondements d'origine. Il réapparaîtra selon la plupart des musulmans, shi'îtes comme sunnites, accompagné de Jésus, fils de Marie, le Messie. Bien qu'en occultation, sa présence spirituelle continue de nourrir les shi'îtes de ses bénédictions, il est l'Imâm de ce Temps et de cette époque, la Preuve de Dieu sur Ses Créatures. Il viendra venger les injustices et portera secours aux opprimés contre leurs oppresseurs, il libérera les hommes de la domination et de l'injustice.Que Dieu nous compte parmi ses partisans et parmi les compagnons qui l'assisteront à « Remplir le monde de justice et d'équité comme il fut jadis rempli d'injustice et d’inquiété », tel que le répétèrent inlassablement l'ensemble des douze Imâms, que la paix soit sur eux... Il viendra venger Husayn.

Nous concluerons après ces quelques lignes écrites par le philosophe allemand Martin Heidegger dans ses Chemins qui ne mènent nulle part au début de sa conférence « Pourquoi des poètes ? ». Décrivant « la nuit du monde » des poètes Rilke et Hölderlin, qui correspond à la disparition du sacré et au désenchantement du monde, il écrit : « Non seulement les dieux et le dieu se sont enfuis, mais la splendeur de la divinité s'est éteinte dans l'histoire du monde. Le temps de la nuit du monde est le temps de détresse, parce qu'il devient de plus en plus étroit. Il est même devenu si étroit, qu'il n'est même plus capable de retenir le défaut de dieu comme défaut. ». Que dans l'obscurité de la nuit de ton absence ta présence, ô notre Maître, brille dans nos coeurs tel un Soleil de minuit.


Références :

(3) al-Sadûq (m. 380/991), Kitâb al-Tawhîd, chapitre 41, hadith n°3 

 

Original en Arabe :
  • (3) Troisième tradition :

حدثني أبي رحمه الله، قال: حدثنا سعد بن عبد الله، عن أحمد بن محمد بن عيسى، عن محمد بن أبي عمير، عن محمد بن حمران عن الفضل بن السكن، عن أبي - عبد الله عليه السلام قال: قال أمير المؤمنين عليه السلام: اعرفوا الله بالله والرسول بالرسالة وأولي الأمر بالمعروف والعدل والاحسان


ô Allah prie sur Mohammad et la famille de Mohammad et hâte leur soulagement ! 

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